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15 juillet 2010 4 15 /07 /juillet /2010 18:53

Karen Blixen, La Soirée d’Elseneur, Paris : Stock, 1980, pour la traduction, Librairie Générale Française, 2004, pour la présentation et les notes

 

Edition présentée et annotée par Marc Auchet

Traduction par France Gleizal et Colette-Marie Huet

 

 Karen-Blixen-copie-1.jpg

 

Je connaissais un peu la grande mythologie nordique, les grandes légendes. J’avais une vague idée de celles des Germains, des Teutons, des sombres forêts. Et puis je ne savais pas grand-chose du Danemark.

Je suis tombé sur une analyse philosophique du Festin de Babette dans le dernier Finkielkraut, Un cœur intelligent (Paris : Stock Flammarion, 2009). Un petit conte pieux du Danemark protestant, adapté au cinéma danois par Axel Gabriel en 1987. D’une histoire apparemment banale et ennuyeuse on en tire une réflexion sur la pratique austère de la religion et son opposition à l’art. L’art et la religion puis l’art et la démocratie nous dit Finkielkraut en ouverture. De belles pensées.

 

Ensuite il y a Karen Blixen, l’un des plus grands auteurs danois du XXe siècle, ses Sept contes gothiques, ses Anecdotes du destin dont l’une des nouvelles est Le Festin de Babette, sa Ferme africaine et son succès. Jusqu’au film Out of Africa de Sydney Pollack en 1985 avec Meryl Streep et Robert Redford. Un film qui va comme un gant au célèbre acteur blond, un peu lent mais fait surtout pour son décor, son calme et une idée forte. Celle du combat de Karen Blixen dans sa ferme au Kenya. Bref j’ai plongé dans l’univers de celle qui publiait pour la première fois en 1934 sous le pseudonyme d’Isak Dinesen.

 

Karen-Blixen.-La-soiree-d-Elseneur.jpgJ’ai donc vu dans La Soirée d’Elseneur ce même goût pour la piété, la campagne, le calme. J’y ai retrouvé ce penchant de Blixen pour l’histoire de deux sœurs pieuses. Sauf qu’ici elle glisse un peu vers le fantastique. Un spectre apparaît, c’est celui de leur frère, mort loin de là et avec qui elles avaient tout partagé. L’originalité de l’histoire, déjà à l’époque, c’est l’attrait que provoque le spectre de leur frère, mais de peur point. Ni roman noir, ni d’épouvante, c’est un conte fantastique et simple. L’épouvante, ce n’est que celle ressentie par les sœurs en apprenant que leur frère, déjà mort, doit à nouveau repartir en tant que spectre, pour l’enfer, car elles voudraient le suivre. C’est une histoire de famille, d’amour fraternel, de partage. Dans Le Festin de Babette, c’est Babette la cuisinière qui porte le message avec son festin comme expression artistique, comme soustraction de « l’alimentation à l’emprise de la nécessité »[1] ; dans La Soirée d’Elseneur c’est le frère qui prend à revers la vie pieuse de ses sœurs de par ses voyages, ses nombreuses femmes, sa piraterie, sa mort … pendu. Le message de Karen Blixen est sûrement à chercher par là, dans cette autre opposition entre des êtres si proches, que leur condition sexuelle place dans des situation ô combien différentes.

 


[1] Alain Finkielkraut, Un cœur intelligent, Paris : Stock Flammarion, 2009, « Lecture du Festin de Babette », de Karen Blixen

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2 juillet 2010 5 02 /07 /juillet /2010 12:45

Minh Tran Huy, La princesse et le pêcheur, Mayenne : Actes Sud, août 2007

 

 

Minh-Tran-Huy.-La-princesse-et-le-pecheur.jpg

 

Minh Tran Huy est né le 16 mars 1979 à Clamart. Elle n’a donc que 31 ans à ce jour et déjà elle est rédactrice en chef adjointe au Magazine littéraire et chroniqueuse aux Mots de Minuit sur France 2. Elle est aussi l’auteure de deux romans : La princesse et le pêcheur (Actes Sud, 2007) et La Double vie d’Anna Song (Actes Sud, 2009) et d’un recueil de contes : Le lac né en une nuit et autres légendes du Vietnam (Actes Sud, 2008). Elle est surtout, à en croire son premier roman, inspiré de sa propre vie, une jeune fille agréable et douée. Sa réussite professionnelle et ses études, prépa à Henri IV, maîtrise de lettres, Sciences Po Paris semblent attester de son éducation studieuse « à la vietnamienne » comme elle le dit.

 

J’avoue avoir commencé La princesse et le pêcheur avec peu d’enthousiasme pour l’histoire de cette jeune fille et de son ami Nam, d’origine vietnamienne comme elle, qu’elle rencontre au cours d’un voyage linguistique en Angleterre et dont elle tombe petit à petit amoureuse. Et puis j’ai pris goût à son texte, aux mots doux qu’elle dit pour lui, à sa gentillesse. Et puis on a tous eu pour amis ou pour voisins une famille d’origine vietnamienne, des gens généralement silencieux, studieux, polis. Mais je n’avais jamais réfléchi à leur histoire. La guerre d’Indochine et la guerre du Vietnam n’étaient pour moi que de lointains événements historiques, dans un pays plus lointain encore, si inconnu, et que je connaissais, à travers des films principalement, surtout pour ses retombées en France puis aux Etats-Unis. Minh Tran Huy m’a fait un peu mieux réaliser les histoires, le vécu, la vie, les souffrances et malheureusement la mort qui se cachaient derrière ces guerres lointaines. On comprend que les disparus et les survivants de sa famille et de celle de Nam aient pu l’inspirer pour l’écriture d’un livre. Je verrais même certains drames être reconstitués en films, tragiques mais magnifiques, à Hollywood.

 

Minh-Tran-Huy.jpgEt puis il y a tous ces contes et ces légendes vietnamiennes qu’elle nous livre au passage tout en aérant son texte. Je ne connaissais rien à la mythologie vietnamienne, elle m’a rappelé la grecque et une once de légendes bretonnes, de très belles légendes. J’ajouterais simplement que leur fin est parfois un peu triste, un peu inachevée, laissant les héros sombrer en pierres ou en statues dans la plupart des cas. Mais on ne change pas des légendes. Et puis elles sont bien racontées. Surtout lorsque Minh Tran Huy les disperse tout le long, comme l’histoire de ce frère et de sa sœur que les astres ont condamnés à s’épouser. Le conte est réparti en quatorze points, qu’on lit chacun à la fin d’un chapitre. J’ai bêtement mis longtemps à comprendre que ce petit texte séparant chaque chapitre était la suite du précédent. Le jeu littéraire m’a amusé et je ne n’ai pas résisté, une fois le principe compris, à sauter des pages pour lire directement la fin du conte. Son écriture enfin est limpide et propre. Simple dans le style d’un récit, d’une nouvelle, elle prend néanmoins une tournure plus littéraire, plus ondulée dirais-je, plus fracassante dans les dernières pages sur son ami Nam. Il en fallait un peu pour finir, tel un bouquet final.

 

Minh Tran Huy est une conteuse, une agréable auteure de petites histoires, de légendes et d’amitié. Un joli livre.

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25 juin 2010 5 25 /06 /juin /2010 16:30

Laurent Graff, Le cri, Paris : Editions J’ai lu, 2007

 

 Laurent-Graff.-Le-Cri.gif

 

« Un livre étrange » écrit Valeurs actuelles (Stéphanie des Horts, 01 septembre 2006), « Désenchanté » ajoute Le Monde des livres (14 septembre 2006), « un univers dépouillé de toute frime, tout style tapageur, tout sujet racoleur » précise Gilles Chenaille pour Marie-Claire (septembre 2006). Une prose qui déroute quelque peu. En 126 petites pages, Laurent Graff « invente un monde qu’il faut visiter sans tarder » nous dit Lire. Un monde pas comme les autres, un univers qui n’existe que dans la littérature, une imagination propre à l’auteur. Un homme mystérieux qui crie son désarroi peut-être. L’histoire d’un « péagiste » qui voit les automobilistes diminuer chaque jour mais qui ne s’ennuie pas. Cet homme seul dans sa cabine qui aime son travail et qui le quitte un jour sans raison. Pour marcher peut-être, faire comme les autos qu’il observe quotidiennement. Faire comme ces randonneurs qui se sont installés sur le bord de la route, à proximité de la station-service où il vient chercher parfois des sandwichs. Faire comme ce gendarme avec qui il déjeune si bien au restaurant du coin et qui abandonne son uniforme pour une Cadillac et un costume à paillettes. Faire comme eux ou faire comme il l’entend peut-être aussi. Et puis partir. Partir vers cette route, vers l’horizon qu’il a tant observé depuis sa cabine de péage. Partir à pied vers ces lieux touristiques qu’indiquent les panneaux de l’autoroute. Partir et observer un accident de la route, comme celui qui a plongé le mari et l’amant de Joras dans le coma. Cette jeune femme qui remplit chaque jour une fiche d’exception au guichet du péage et qui tient la main de l’homme « à qui elle a dit oui un jour » et de cet autre à qui un jour « elle n’a pas dit non ». Et puis partir Le Cri sous le bras, ce tableau d’Edward Munch volé en Norvège et retrouvé dans une voiture abandonnée sur le parking du restaurant, près du péage. Partir aussi comme ces gens qui fuient le cri sourd et violent qui déchire l’atmosphère, qu’on n’explique pas et que seuls les humains entendent. Partir comme eux, partir pour soi, partir pourquoi…

 

Laurent-Graff.-Le-Cri.jpgCe livre est une énigme. Un message à caractère non identifié. Un poème d’amour, de vie, d’ennui en 124 pages. Ni kafkaïen ni existentialiste, surréaliste. Avec son quatrième roman Laurent Graff confirme son caractère singulier. Déroutant, troublant, désopilant, grave et malgré tout captivant. Un livre à méditer peut-être, sinon à délaisser. On ne saurait plus le déchiffrer. 

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21 juin 2010 1 21 /06 /juin /2010 10:33

Suite à une discussion sur ce blog, ce livre fait l'objet d'une relecture.

Sans revenir sur les idées que j'exprime ici, je peux déjà dire que j'ai fait preuve d'innatention dans ma lecture quant au personnage. Je parlais d'un personnage-narrateur d'origine juive, c'est une erreur. Le livre est à la 3e personne du singulier, le narrateur n'est pas le personnage principal, et ce dernier n'est pas d'origine juive. Il semble plutôt que ce personnage soit une sorte d'avatar de Baubérot lui-même. C'est semble-t-il, un faute d'inattention dans la lecture d'un paragraphe en particulier qui m'a induit en erreur, et je ne l'ai pas corrigé ensuite dans mon esprit.

Ceci étant, ceci reste un détail. Le propos reste le même et on se fiche bien de l'origine des gens.

 

Cette lecture sous forme de dossier s'ajoute à nos études régulières d'ouvrages anciens, dantant essentiellement des années 60 et 70. Il est en effet intéressant d'observer près de quarante ans plus tard quels sont les points de vues et analyses qui ont marqué une époque, qui se sont conservés ou qui ont disparu. Notre regard se veut ausi très critique des ouvrages abordés.

 

 

   Jean Baubérot, Le tort d’exister. Des Juifs aux palestiniens, Bordeaux : Editions Ducros, octobre 1970, 262p.

 

 Jean Baubérot. Le tort d'exister. Des Juifs aux palestinie

 

 

L’originalité de ce livre consiste sûrement en sa forme : mi-roman, mi-plaidoyer politique, il s’agirait d’une forme hybride, une forme de roman politique. Jean Baubérot en effet, y expose un certain nombre d’idées, une certaine vision du monde à travers un personnage. Il y exprime son attirance pour les milieux dits d’extrême gauche, trotskistes et tiers-mondistes, assortie d’une réflexion sur la religion, l’idéologie et l’irréligiosité devenue idéologie et presque nouvelle religion.

 

Jean BaubérotL’auteur en effet, après avoir été étudiant à la Faculté de théologie protestante de Paris, devient un des leaders des jeunes protestants contestataires. En 1965, il devient directeur de la revue Le Semeur puis membre du Comité directeur de l’Amitié judéo-chrétienne de France, dont il démissionne le 2 juin 1967, en désaccord avec le soutien apporté par cette organisation à l’Etat d’Israël. Car le conflit du Proche-Orient lui touche à cœur et c’est à celui-ci qu’il s’attache grandement dans la revue qu’il fonde en mars 1968, Hermès, qui devient ensuite Herytem—critique politique de la vie quotidienne, qui publie un numéro spécial sur le « peuple palestinien » ou les Arabes originaires de la région d’Israël, et sur la « mise en question de l’Occident ».

Un sujet qui le passionne et qu’il reprend longuement dans cet ouvrage, à travers son personnage. Un personnage dont le parcours est fort ressemblant. Proche des milieux gauchistes, grand lecteur de Marx et de Mao comme les révolutionnaires de son époque, il tente néanmoins de se forger son propre univers, de se démarquer des clichés et caricatures qui limitent tous ces groupuscules. C’est cet univers que nous fait découvrir Jean Baubérot : celui d’un jeune homme d’origine juive qui se cherche et qui cherche à changer le monde dans ce qu’il croit juste : par l’anticolonialisme occidental, l’antisionisme et le pro-palestinisme[1]. Un jeune homme qui voit les Juifs avant Israël comme l’image de l’opprimé pour lequel il faut se battre, une image qu’incarnent aujourd’hui les Arabes en lutte contre Israël, et spécialement l’avant-garde des réfugiés arabes. Un jeune homme marqué par la lutte des classes, par le paupérisme et la lutte contre les riches exploiteurs, par la défense de la classe prolétarienne contre les privilégiés. Mais un jeune homme qui ne colle pas tout à fait avec les analyses marxistes et qui admire un juif religieux antisioniste comme Emmanuel Levyne.

Bref un jeune homme de bonne volonté et révolutionnaire, mais incertain, cherchant à garder son esprit critique sans tomber dans les dérives idéologiques.

 

Parcours intéressant que celui que nous raconte Baubérot. Imaginaire tout aussi passionnant que celui qu’il nous décrit, même si la forme hybride ne permet pas toujours de se laisser bercer par les considérations philosophiques et intellectuelles de l’auteur comme dans un vrai roman. La forme romancée toutefois, permet à l’auteur de se détacher de la lourdeur stylistique d’une thèse universitaire et académique. Mais l’auteur n’y mène pas moins une tentative de démonstration contre le sionisme et en faveur des mouvements arabistes palestinistes comme l’O.L.P. et le Fatah. C’est donc sur le fond que nos critiques — et c’est naturel — sont les plus vives.

 

Comme à l’accoutumée, l’essai pêche surtout en ce qu’il porte un jugement négatif sur le sionisme et sur l’histoire occidentale et un jugement favorable sur les mouvements dits du tiers-monde, et les Arabes particulièrement, mais sans jamais remettre en cause ces derniers ou leur histoire. A aucun moment en effet, le narrateur ne réfléchit sur les concepts et le langage utilisés par les groupes palestinistes, alors même qu’il accuse les sionistes de manipuler le langage en leur faveur. Sa réflexion sur le langage est intéressante, mais pourquoi la limiter à un seul camp? A aucun moment non plus, il ne remet en cause l’arabisme, le palestinisme et l’idée qu’il existerait un droit fondamental, inaliénable et préalable, pour les Arabes de vivre (souverainement qui plus est) entre Méditerranée et Jourdain[2]. A aucun moment donc, il ne remet en cause l’idéologie et la lecture palestiniste. En cela il s’ancre pleinement dans la dominante intellectuelle des années 1970, contrairement à l’idée que se font les révolutionnaires gauchistes d’être, en ce domaine comme dans d’autres, marginaux.

Le narrateur et par lui l’auteur, critique encore le fait par exemple, qu’en voulant être « comme les autres », les sionistes ont reproduit un mode de vie occidental, et aujourd’hui l’American way of life que le narrateur rejette, non seulement comme exploiteur et oppresseur, mais aussi comme banalisant. Un mode de vie occidental, moderniste — et non seulement moderne — qu’il juge impérialiste (sans jamais qu’on sache réellement pourquoi), injuste, colonisateur, oppresseur.

Et au-delà de ces schèmes mentaux qu’on a déjà analysés ailleurs, la démonstration de Baubérot souffre souvent de défauts de logique, passant d’un énoncé à un autre sans que la conséquence en soit réellement justifiée. Ceci découle souvent du fait qu’il perçoit tout discours réellement critique sur l’action des groupes arabes comme la perception sioniste, sans jamais se demander si celle-ci n’a pas sa raison d’être ou si elle n’est pas tout simplement juste. Bref il souffre surtout d’une incapacité à remettre en cause l’énoncé arabe, qui s’explique et se justifie en tout point selon lui. L’oppression en étant la justification. Il cherche souvent par exemple à établir une relation conjointe entre le traitement des Juifs au cours du Moyen-âge en Europe, et celui des Arabes d’Israël ou originaires d’Israël à notre époque. Pourtant, à aucun moment, il ne part d’une analyse concrète et pragmatique des faits, à aucun moment il ne réfléchit sur les fondements de la lutte arabe, et à aucun moment il ne cherche à comparer avec la situation des Juifs en pays arabes, aujourd’hui comme hier. Sans prétendre que la situation des Arabes en Israël est idyllique, il ne cherche ni à regarder réellement les difficultés posées par une population hostile en Israël même, ni à contester les fondements de cette hostilité. C’est point par point qu’il faudrait démonter une telle argumentation devenue aujourd’hui trop commune et que les événements — on s’en rend bien compte aujourd’hui — infirment tous les jours (affirmation ô combien scandaleuse, il suffit d’énoncer quelques vérités : il n’y a pas de ghetto arabe en Israël, les Arabes citoyens ont les mêmes droits que les autres, il n’y a pas d’impôt arabe, pas de pogroms, j’en passe). Avec une telle comparaison, le propos de l’auteur touche à l’outrance et n’a plus de fondement de scientifique, ça n’a rien de sérieux, c’est pitoyable.

 

Baubérot est même pris, dans sa diatribe anticolonialiste occidentale, en flagrant délit de soutien au colonialisme arabe. Evoquant l’histoire française à l’époque de Charles Martel, il prétend que la victoire remportée par ce dernier sur les Arabes à Poitiers devrait faire figure de recul pour l’humanité, qui aurait profitée d’une domination arabe, comme en Espagne. Voilà donc un homme qui condamne le paternalisme occidental, mais qui en vient à souhaiter la même forme de prétention pour les Arabes. Un argument non seulement particulièrement vicieux, mais par ailleurs subjectif et faux historiquement. D’une part parce que l’époque de Charlemagne a constitué ce que les historiens du Moyen-âge appellent aujourd’hui la « renaissance carolingienne », d’autre part parce qu’elle souffre d’une vision imagée et idyllique d’un âge d’or musulman espagnol qui fait abstraction des rapports de force concrets entre populations musulmanes, chrétiennes et juives, et des périodes intégristes musulmanes — particulièrement des Almohades.

 

Baubérot en clair, malgré tout un ensemble de réflexions intéressantes et originales, n’en échappe pas moins à l’admiration acritique des Arabes et du tiers-monde dont a souffert son époque.

 

Sa biliographie en témoigne. Si elle est riche, diverse et variée, de S.W. Baron à François Lovsky, il n’en reste pas moins qu’on perçoit la mobilisation régulière de thèses comme de faits avancés par les plus grands antisionistes comme Maxime Rodinson en France (qui a collaboré à la revue Herytem de Baubérot) et Nathan Weinstock en Israël (un Weinstock qui en 2005 revenait d’ailleurs sur ses livres antérieurs). La conception de la civilisation occidentale judéo-chrétienne du narrateur l’amène aussi à penser comme cet autre auteur marxiste antisioniste et d’origine juive Isaac Deutscher, que cette civilisation contient en germes les mauvais fondements qui l’ont amené au nazisme.

Il serait temps de comprendre que si cette civilisation a été capable du pire, premièrement elle n’en est pas la seule (elle a simplement été la seule à être capable de mener ce pire, technologiquement), deuxièmement elle est aussi celle qui a été capable du meilleur.

 

 


[1] Voir pour ce terme Misha Uzan, « Israël et les intellectuels français, 1967-1982 » in Controverses. Revue d’idées, n°7, février 2008

[2] Voir sur ce point mes remarques dès le début de mon mémoire : Misha Uzan, Images d’Israël et compréhension du conflit israélo-arabe par les intellectuels français, de 1967 à 1982, sous la direction de Jean-François Sirinelli, IEP Paris : 2007.

Repris in Misha Uzan, « Israël et les intellectuels français, 1967-1982 » in Controverses. Revue d’idées, n°7, février 2008

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17 juin 2010 4 17 /06 /juin /2010 13:22

Didier van Cauwelaert, L’Apparition, Paris : Albin Michel, 2001

 Didier-Van-Cauwelaert.-L-apparition.gif

 

L’apparition est un joli roman de 217 pages qui se lit vite et avec grand intérêt. Son auteur, Didier van Cauwelaert, né à Nice en 1960 a commencé à écrire dès l’âge de huit ans pour faire vivre sa famille. Ce fut en vérité la traversée du désert jusqu’en 1982, date où son roman Vingt ans et des poussières au Seuil, obtient le prix Del Duca. Il est aussi l’auteur de Un aller simple (Albin Michel, 1994), prix Goncourt, La Vie interdite (Albin Michel, 1997), grand prix des lecteurs du Livre de Poche en 1999 ou encore de La Demi-Pensionnaire (Albin Michel, 1999), Prix Femina hebdo du Livre de Poche en 2001. On le voit l’auteur ne manque pas de décorations.

 

C’est surtout le titre du livre qui m’a attiré : L’Apparition. Auteur par la suite de Cloner le Christ ? (Albin Michel, 2006), l’auteur a souvent pris position en faveur d’une vie après la mort et en faveur d'une communication possible avec les morts. L’Apparition s’inscrit tout à fait dans cette voie, et bien au-delà c’est le cas de le dire. Il s’agit de l’histoire romancée d’une histoire vraie, d’une expertise, d’un miracle peut-être. En 1531 un jeune indien provenant de la tradition aztèque, converti au christianisme, appelé Juan Diego de son nom chrétien fait une étrange rencontre. La Sainte Vierge, « la mère du vrai dieu pour lequel nous vivons tous » le choisit pour délivrer un message à l’évêque de sa région, à proximité de Mexico. L’évêque refusant de croire que la Vierge se serait manifestée à un Indien converti d’une si petite caste, il lui demande de fournir une preuve. La Vierge fait donc cueillir des roses à l’indien, en plein hiver et lorsqu’il déplie son talisman, son Tilma pour le montrer à l’évêque, la Vierge apparaît comme peinte sur cet habit de façon miraculeuse. Le talisman comme le petit indien deviennent l’objet d’un culte de l’Eglise locale et Juan Diego se voit offrir logement près de la chapelle demandée par la vierge pour raconter son histoire. Or le talisman a ceci de particulier qu’il résiste à l’érosion du temps et plus encore : l’image peinte de la Vierge comporte des caractéristiques difficilement explicables comprenant dans ses yeux la scène du talisman. Comme si la Vierge sur l’habit était vivante, comme si ses yeux en tout cas, étaient réels.

 

Un peu moins de cinq siècles plus tard, Juan Diego passe en procès en canonisation au Vatican afin d’en faire un Saint. Comme l’exige le protocole en la matière un cardinal est nommé Avocat du Diable : son rôle, tenter de prouver qu’il s’agit d’une supercherie et empêcher la canonisation de Juan Diego. Voilà une fonction qui mérite à mon sens admiration au sein d’une institution religieuse puisqu’elle signifie que la contestation des miracles présumés est inscrite dans ses lois. Admettre un Avocat du Diable c’est aussi admettre que les défenseurs du miracle peuvent se tromper et un peu aussi, que l’Eglise n’a pas toujours raison. Mais ceci reste théorique. La corruption, les combats internes entre cardinaux et les considérations financières voire ethniques entachent largement ce portrait. Didier van Cauwelaert nous plonge donc également dans les couloirs du Vatican.

 

Le roman est découpé en chapitres alternant le regard de Nathalie Hertz, docteur en ophtalmologie, d’origine israélite mais ultra-athée et anticléricale, une femme mûre, seule et intérieurement désorientée ; et les paroles de Juan Diego lui-même, l’indien décédé depuis quatre siècles qui, comme coincé dans le ciel, se voit retenu par son culte et par une situation indécise à son égard. Du haut de son au-delà on ne sait où, il tente de communiquer à Nathalie Hertz, l’ophtalmologue, désirant qu’elle réfute les miracles qui lui sont attribués pour qu’il puisse reposer en paix. Le tout se passe dans l’atmosphère d’un Mexico bondé, corrompu, brûlant et dangereux. La description qui est faite du pays par Nathalie a de quoi repousser plus d’un touriste soucieux de sa sécurité ou refusant de verser des pots de vin à la police ou à n’importe quel fonctionnaire.

 

Didier-van-Cauwelaert.jpgDès les premières pages du livre on a envie d’en connaître le dénouement. Les péripéties de Nathalie Hertz et ses amourettes ont presque quelque chose de rébarbatif, bien que tout à fait agréable en réalité, comparé au miracle des yeux de la Vierge. On voudrait connaître le résultat de l’expertise qui a de quoi passionner. Sachez en tout cas que Jean Paul II a canonisé Juan Diego en 2002, malgré les contestations et malgré les rebondissements de la fin du roman … inspiré de la réalité. Alors que croire ?

 

On ne compte plus en tout cas les supposées apparition de la Vierge, à Mexico, à Lourdes, sous les traits de Fatima ou sous la plume de Paulo Coelho. L’apparition de van Cauwelaert – Juan Diego a en tout cas de quoi en faire douter plus d’un.

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12 juin 2010 6 12 /06 /juin /2010 18:15

Christian Bobin, Geai, Saint Amand : Folio, 1998

 

Christian-Bobin.-Geai.jpg

 

Christian Bobin est un auteur plutôt discret du monde littéraire. Cet « amoureux du silence et des roses » tel qu’il se décrit semble transmettre son retrait à son œuvre. Auteur d’une quarantaine d’ouvrages c’est un écrivain essayiste, diariste et surtout poète. Le style de Geai en témoigne. Ce tout petit livre de 112 pages, très rapide à lire est à la mi-chemin entre le roman et la poésie en prose. C’est un roman certes, mais écrit d’une façon presque poétique. Les mots ne sont pas d’une grande complexité mais tout se fait dans la phrase, souvent courte, répétant souvent une partie d’une autre phrase, et très imagée.

 

Le livre aurait pu s’appeler Albain plutôt que Geai. Albain est un petit garçon qui grandit au cours de l’histoire et qui reste attaché à Geai, une jeune fille « morte depuis deux mille trois cent quarante deux jours » lorsqu’il la croise pour la première fois sous la glace du lac de Saint Sixte, en Isère tout près de son village. Une jeune fille qui lui sourit, avec qui Christian-Bobin.jpgil bavarde et noie sa solitude, mais qu’il est le seul à voir. Christian Bobin était parait-il solitaire et rêveur dans sa jeunesse, tel est aussi son personnage. Ce dernier vit dans son propre monde, son violon à la main, plein d’amour pour les autres et pour Geai, à ses côtés. Albain vit en dehors du monde qu’il ne comprend pas et ne veut pas réellement comprendre. Il vit du sourire de Geai, de la beauté des meubles, des animaux et parfois de certaines femmes qu’il observe, rencontre et qui prennent la place symbolique de Geai. Albain n’est sûrement pas un génie nous dit Bobin, on ne sait pas vraiment non plus si c’est un idiot ajoute-t-il.

 

Très littéraire, poétique, envoûtant, reposant, apaisé, épuré, limpide, ce livre est évidemment celui d’une expression incarnée dans un personnage. On ne sait pas exactement quel sens il faut lui donner. On le lit facilement, on le suit, on l’apprécie, on en devine une partie, on imagine, mais difficile de savoir si l’auteur entend faire passer un message particulier. Et si oui, lequel ? Ce sont surtout des petits moments de vie qu’il nous fait lire, découvrir, partager, aimer. L’auteur est connu pour porter dans sa littérature une foi catholique, c’est un livre consacré à François d’Assise qui le fait vraiment connaître. Alors faut-il voir dans Geai une réflexion de type religieuse ? Sans doute pas, si ce n’est l’idée du repos de l’âme : celui de Geai dans le royaume des morts, celui d’Albain dans son existence calme et paisible.

 

A lire pour se détendre et se relaxer.

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10 juin 2010 4 10 /06 /juin /2010 11:53

Clément Weil-Raynal, Le Songe du guerrier, Paris : Albin Michel, 2006, 362 p.

 

 Clement-Weil-Raynal.-Le-songe-du-guerrier.jpg

 

Après Le tombeau de Rachi en 1998, Clément Weil-Raynal a publié en 2006 Le Songe du guerrier. Journaliste judiciaire pour France Télévisions, son style s’en ressent largement. Son écriture est plus journalistique que littéraire. Pas de grandes phrases d’écrivain mais un style direct et simple. On regrette toutefois, qu’afin de se faire comprendre par le public francophone le plus large et parce que c’est plus simple[1], l’auteur reprenne à son compte un vocabulaire impropre concernant les implantations juives de Judée et de Samarie, qualifiées de ‘colonies’, et leurs habitants qualifiés de ‘colons’ avec ce que cela implique dans l’imaginaire postcolonial français. Utiliser sans complexe ces expressions journalistiques incorrectes, fort répandues pourtant, c’est entretenir une condamnation implicite et antérieure, par le public français, à toute véritable analyse. De même il est dommage que les débats esquissés sur le conflit proche-oriental ne soient pas poussés plus en avant. Le lecteur novice en la matière ne devrait pas, à la rencontre de ces personnages, comprendre le fondement de leur pensée ni de leur combat. Qu’on l’approuve ou non.

En vérité le livre trouve surtout son intérêt dans l’histoire, un suspens décoiffant et des rebondissements toujours plus étonnants. C’est en cela que cet ouvrage constitue un bon livre de chevet pour ceux qui aiment les thrillers politiques et les livres d’espionnage. Naviguant sans cesse entre la France et Israël, l’histoire se passe tour à tour à Tel Aviv, dans les rues de Paris, à Beth El dans une implantation juive de Samarie ou encore dans les locaux de la ‘Fraternité nationale’, un parti d’extrême droite imaginaire évidemment calqué sur le réel ‘FN’. Un sous-ministre socialiste est assassiné sur une route de Samarie après s’être rendu pour une interview radiophonique à Beth El dans une implantation juive de cette région peuplée majoritairement d’Arabes. Ilana Mizrahi, la jeune journaliste israélienne qui l’accompagnait, blessée, veut mener l’enquête. En France Jérôme Drouin, journaliste à L’Européen, se voit confier l’affaire pour le journal. Ressortant de vieux dossiers sur l’appartenance du ministre assassiné, dans sa jeunesse, à un groupuscule d’extrême droite, il suscite l’attention de Jacques Malaivre, directeur du Département Sécurité et Protection à la Fraternité Nationale. Tout ceci dans une ambiance d’émeutes et de quasi guerre civile à la veille de l’entrée au gouvernement du parti d’extrême droite, alors que Georges Voiron, un ancien militaire fasciste s’attache à entretenir le brasier et que David Weinberg, représentant des localités juives de Judée-Samarie multiplie les conférences pour pousser les Juifs de France, soumis aux attaques antisémites, à quitter la France pour s’installer en Israël.

 

Bien que les noms de partis et personnes soient modifiés, que les couleurs politiques au pouvoir en France aient été inversées (la droite dirigeait en 2006 et non la gauche), qu’on ne sache pas si les mystères dévoilés par l’auteur ont un quelconque rapport avec ce qu’il en est en réalité, et que le leader historique du parti d’extrême droite français (Le Pen dans la réalité) ne soit pas encore décédé (comme c’est le cas d’Abel Gamelin dans le livre), l’ouvrage reste très d’actualité et devrait plaire en particulier à tous ceux dont le regard se porte simultanément sur la France et sur Israël. Les émeutes de banlieue, les attaques antisémites, l’univers alternatif des implantations juives ou les stations balnéaires de Tel Aviv sont pour ma part et pour beaucoup qui connaissent une vie similaire, une référence quotidienne. Dans un de ses nombreux romans, le prix Nobel de littérature Isaac Bashevis Singer fait dire à l’un de ses personnages que les meilleurs livres sont souvent ceux qui nous parlent de ce qu’on connaît déjà. Il y a bien sûr nombre de choses à découvrir dans ce roman, mais en ce sens Le Songe du guerrier fut une lecture intéressante.

 

 


[1] Nous avons rencontré l’auteur lors d’un cycle de séminaires sur le Proche-Orient il y a plusieurs années. Celui-ci admettait volontiers que la terminologie employée pour décrire les implantations juives de Samarie et leurs habitants par les journalistes, politiques et diplomates français était partiale, contestable et impliquait des préjugés de la part du lecteur francophone qui n’avait pas lieu d’être. Toutefois nous expliquait-il, cette terminologie si répandue était simple, rapide, et comprise par tous, ce qui n’est pas le cas d’une autre.

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13 mai 2010 4 13 /05 /mai /2010 17:00

Jacques Attali, Les Juifs, le monde et l’argent, Histoire économique du peuple juif, Paris : Fayard, 2002

 

 

Jacques-Attali.-Les-Juifs--le-monde-et-l-argent.jpg

 

Voilà un moment que ce livre traînait sur mon bureau. J’ai dû l’en déplacer à plusieurs reprises pour faire de la place, compte tenu de son gabarit et de son poids. C’est un beau molosse de 638 pages en effet. Après la Brève histoire de l’avenir du même auteur, qui n’avait déjà rien de bref, j’ai fait l’erreur de vouloir lire dans son intégralité le livre qui l’a précédé et qui l’a également, en partie au moins, inspiré. C’était une erreur parce que Les Juifs, le monde et l’argent, vaste sujet disons-le, n’est pas un petit essai qu’on peut lire le soir avant de dormir. Ce n’est pas même un livre de vacances ou un bon bouquin pour les jours où l’on s’ennuie. Ca ne signifie pas qu’il soit mauvais, mais c’est plutôt un gros manuel écrit par un économiste qui se fait historien et écrivain sur une Histoire économique des Juifs, à partir de sources secondaires, néanmoins. Précisons-le il ne s’agit pas ici d’une recherche historique fondée sur de nouvelles archives ou une perspective nouvelle de certains textes. C’est une vaste histoire des Juifs, et en même temps très courte puisqu’on ne résume pas 3500 ans d’une telle histoire en 600 pages, qui s’attache à leur situation économique, leurs acceptations dans le domaine, leurs positions ou encore leur rapport à l’argent. C’est une histoire des Juifs qui souligne l’élément économique. Il y a bien sûr une part de politique, c’est inévitable, mais l’auteur essaie de garder à l’esprit la question de l’argent, dans ses réalités et ses fantasmes.

La partie sur l’antiquité m’a le plus intéressé, c’est peut-être là que j’ai appris le plus. Mais, encore une fois, on ne viendra pas chercher là la dernière théorie historique mais plutôt la petite histoire d’un ancien chef, une date qu’on a oubliée ou un mouvement dont on ne se souvient plus les détails. Plus dans l’antiquité ou au moyen-âge qu’à l’époque contemporaine où ce qui est dit reste tout de même plus connu et abordé un peu partout. C’est plus un manuel à conserver dans son armoire et à consulter à l’occasion. A ce titre les sous-sous-titres peuvent toujours être plus précis mais enfin on devrait rapidement trouver un passage à quelques pages près.

Le livre se divise en cinq grandes parties nommées selon les cinq livres du pentateuque et auxquels l’auteur attribue une période :

1° Genèse (-2000/ +70) : en gros d’Abraham à la révolte de Massada

2° Exode (70 – 1096) : fin de l’antiquité et haut moyen-âge, jusque la première croisade

3° Lévitique (1096-1789) : du bas-moyen âge à la Révolution française

4° Nombres (1789-1945) : de l’émancipation à la Shoah

5° Deutéronome (1945-) : notre temps

 

Rien de bien troublant dans cette périodisation.

En revanche je pense pouvoir dire que s’est formé dans la tête d’Attali, s’est concrétisé en tout cas en écrivant ce livre, l’idée du prochain livre, puis du suivant. C’est je crois à travers son étude de l’histoire juive, du rapport entre nomades et sédentaires et de leurs implications sur l’économie, locale, territorialisée puis mondiale, que Jacques Attali a structuré sa pensée des lois économiques et politiques de l’histoire qui nous permettent de prévoir à peu près l’avenir. C’est bien sûr assez large et, si c’est intéressant concernant une Histoire économique des Juifs, ça devient un peu schématique dans l’Histoire de l’avenir et un peu barbant dans son petit livre sur la crise où il répète le précédent.

Il est aussi facile de penser que ce livre-ci lui a permis d’écrire son Dictionnaire amoureux du judaïsme, qui paraît attrayant mais dont j’ai lu des critiques plutôt dures. Enfin je ne saurais achever ce petit commentaire sur Jacques Attali sans dire un mot de ses propos assez étonnants prononcés il y a quelques mois au cours d’une interview pour le journal israélien Haaretz. Je suis de ceux qui pensent que parfois la communauté juive organisée et officielle s’emballe un peu vite lorsqu’un intellectuel, juif ou pas, plutôt proche des milieux juifs et de la communauté, émet un certain type de critiques. Ce n’est pas toujours le cas mais ça arrive. Pour autant j’ai eu du mal à comprendre comment Jacques Attali pouvait affirmer que la montée de l’antisémitisme en France était de la propagande israélienne et qu’il n’y avait aucun conflit avec la communauté musulmane. C’était tout de même prendre de drôles de raccourcis. D’une part les chiffres d’actes d’agressions antisémites ne proviennent pas d’instituts de statistiques israéliens, d’autre part il est difficile de nier la tension existante entre de nombreux membres des communautés juives et musulmanes tout comme on ne peut pas ne pas voir les attaques verbales, physiques et les manifestations haineuses qui se donnent libre cours dans les rues partout en France depuis quelques années. Certes il faut raison garder, ne pas généraliser et garder un œil sur les efforts faits dans les deux sens. Mais s’il y a effort pour améliorer la situation, c’est bien parce qu’elle n’est pas bonne. Il n’y a pas vraiment ici de quoi débattre, c’est plutôt Attali qui s’est fait remarquer par des propos nettement éloignés de la réalité. Dans le même article, l’ancien conseiller personnel de François Mitterrand indique qu’il ne dort que très peu, trois ou quatre heures par nuit maximum. Il est vrai qu’il est très occupé. Il écrit d’ailleurs beaucoup et il n’y a pas une année où il ne sort un livre. Voilà peut-être la raison de son égarement ! Alors esquissons un conseil Monsieur Attali, reposez-vous un peu, ça ne fera que du bien à vos idées qui se fatiguent parfois.

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11 mai 2010 2 11 /05 /mai /2010 14:12

Gilles Perrault, Le Garçon aux yeux gris

Suivi de Le Soldat perdu, Paris : Fayard/Noêsis, 2000,2001

 

 Gilles-Perrault.-Le-Garcon-aux-yeux-gris.JPG

 

Il faut bien deux histoires pour faire un livre. Surtout lorsque ces histoires sont très courtes, presque des nouvelles. L’un n’empêche pas l’autre Le Garçon aux yeux gris fut adapté au cinéma par André Téchiné en 2003, assez fidèlement. Emmanuelle Béart, plutôt bien choisie pour jouer une mignonne bourgeoise parisienne assez ouverte, incarne Florence, mère de deux enfants : Sylvie et Philippe. Son mari lieutenant d’artillerie appelé à la guerre, elle veut protéger ses enfants de l’avancée allemande et part vers le sud, c’est l’exode de 1940. Pris dans les embouteillages ils sont bombardés par l’aviation allemande et doivent fuir à l’aveuglette. C’est là que Jean, incarné par Gaspard Ulliel au cinéma, un jeune garçon (aux yeux gris) vient à leurs secours. Le jeune sauveur est mystérieux et on ne connaît rien de lui, mais il est là au bon moment. Les enfants fraternisent avec lui et la mère, déboussolée, ne quittant plus ses yeux, succombe à son charme. Réfugiés dans une maison abandonnée au milieu de rien c’est là qu’ils passent le début de la guerre, tant bien que mal.

 

C’est à peu près tout. Le roman ne dépasse pas les cent pages, c’est en fait très rapide. Le temps de se familiariser un peu avec les personnages et on a déjà l’impression d’être au tiers de l’histoire, craignant de la lire jusqu’au bout sans en voir l’intérêt. La scène avec les deux soldats ivres et violents que le jeune garçon repousse donne son sens au roman. L’histoire d’amour un peu amorale toutefois entre un gamin de seize ans (même s’il ne fait pas son âge) et une femme mariée de trente et un an fait son chemin. Le tout est joli et simple, sans apothéose. C’est juste une histoire d’égarés (c’est le titre du film) en pleine débâcle, juste une situation improbable sans la guerre, juste un petit roman historique, juste une belle histoire de famille déchirée.

 

Gilles PérraultAuteur de nombreux romans politiques et historiques, Gilles Perrault est un habitué des romans de guerre et un connaisseur de la seconde guerre mondiale, sur laquelle il a mené quelques recherches. Il saisit un moment d’histoire dans Le Garçon aux yeux gris et une question politique dans Le Soldat perdu. J’ai naïvement cru que cette seconde histoire était une suite de la première qui ne se finit pas vraiment. Elle fut en réalité publiée un an plus tôt et le décor est tout autre. Il ne s’agit plus de la guerre de 40 mais de la lutte d’Irlande du Nord contre l’Angleterre, à la fin de l’ère Thatcher. Le narrateur parle cette fois à la première personne et n’est autre qu’un français travaillant pour l’IRA. Sous couvert d’un personnage c’est probablement Perrault qui parle derrière lui. Il défend la lutte antibritannique en Ulster et ne renie pas le vocable de « terroriste » s’il le faut, mais pour une bonne cause, dit-il. L’environnement est assez trouble au milieu des histoires d’espionnage, de Maureen, celle qu’il aime et de Gérard son meilleur ami. Petite histoire de moins de 50 pages c’est en fait trop court pour en faire un véritable polar. C’est peut-être plus le message qu’il faut entendre : celui de l’IRA contre l’Angleterre. Les réflexions sur la domination anglaise ne sont pas dépourvues d’intérêt mais elles mériteraient néanmoins élargissement et plus grande réflexion.

Dans les deux histoires finalement le roman est court, le message simple bien qu’ambigu et l’histoire sans complication. Suivant le conseil de Patrick Besson nous avons voulu lire Perrault, on y retrouve l’amour d’une petite littérature exprimant de petits messages, de petites critiques. Difficile de juger en l’état, il faudrait éventuellement en lire et en savoir plus.

 

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6 mai 2010 4 06 /05 /mai /2010 16:10

Prix Renaudot 1997.

Pascal Bruckner, Les Voleurs de beauté, Paris : Editions Grasset & Fasquelle, 1997, 248p.

 

Pascal-Bruckner.-Les-voleurs-de-beaute-jpg

 

C’est fou comme certains traits caractérisent un auteur. A de nombreux égards Pascal Bruckner est reconnaissable, à d’autres il est aussi remarquable.

Dans ses romans il l’est par son approche bien singulière. Dans Les Voleurs de beauté comme dans Lunes de Fiel (adapté au cinéma par Roman Polanski), le personnage a priori principal n’est en fait que secondaire. Il l’est encore plus dans cet opus. Il n’est au fond que l’auditeur d’une histoire qu’on lui confie, qui le passionne et à laquelle il s’attache jusqu’à s’y plonger, s’y rallier d’une façon ou d’une autre. C’est le cas du docteur Ayachi, une jeune et belle femme médecin à l’hôtel-Dieu qui au hasard d’une nuit à l’hôpital rencontre Benjamin Tholon, patient, qui lui raconte les secrets de sa vie. L’amourette du docteur avec Fernand n’est qu’une écume. L’histoire de Bruckner c’est l’histoire dans l’histoire, celle que nous raconte Benjamin.

L’auteur du Sanglot de l’Homme blanc (Bruckner, Seuil, 1983) marque encore par son style. C’est par une langue soutenue, très littéraire, d’un vocabulaire précis et varié, qu’il nous soumet les pensées cruelles, perverses, ignobles de ses personnages.

Enfin le docteur en lettres Bruckner se caractérise par le choix de ses thèmes, souvent bien choisis : le Sanglot de l’Homme blanc, la Tentation de l’Innocence, de l’irresponsabilité de l’Occidental moderne, l’amour, la passion, la beauté. Et selon moi, s’il est toujours possible de débattre de tel ou tel point, on peut au moins dire de lui qu’il vise juste, qu’il ne manque pas de réflexions et remarques pertinentes. C’est le cas dans Les Voleurs de beauté, joli roman qui met en avant l’idée d’inégalité, d’injustice innée dans la beauté, dans le fait d’être beau ou belle. Aussi l’histoire est celle de Benjamin, un écrivain devenu maître dans l’art du plagiat, qui paraît vieux et usé bien qu’il n’ait que 37 ans, et qui s’amourache de la belle Hélène, riche, douce et vivace. Leur histoire d’amour aurait peut-être pu durer s’ils ne s’étaient égarés au retour de vacances à la montagne, dans un fanoir isolé au fin fond du Jura. C’est là qu’ils vont faire la connaissance de Jérôme Steiner et sa femme Francesca, ainsi que de leur domestique franchement larbin Raymond, dit le gnome. Le couple d’amoureux est alors confronté à une petite confrérie de trafiquants de beauté, kidnappeurs et séquestreurs de jolies jeunes filles. Là où Dantec en écrivain sociologue noir aurait sans doute imaginé une option explicative des nombreux cas d’enlèvements de jeunes filles en Europe, Bruckner en philosophe axe les orientations de ses personnages sur le rapport à la beauté : privilège social né dans et grâce à la société ou don de la nature ?

 

Bruckner nous convainc une fois de plus avec ce roman de taille moyenne. Il s’interroge de façon détournée sur la beauté, cause ou conséquence sociétale. L’intrigue est prenante malgré une fin qui nous laisse un peu sur notre faim, n’en disons pas plus.

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