Journaliste à Charlie Hebdo – journal satirique sous la direction de Philippe Val actuellement poursuivi au tribunal pour la publication de caricatures de Mahomet -, rédactrice en chef de la revue Pro – choix et auteur de Tirs croisés en 2003 et de Frère Tariq en 2004, où elle dénonce le vrai visage de Tariq Ramadan – qui a toujours refusé de débattre avec elle -, Caroline Fourest, entreprend dans son dernier petit essai, de dénoncer cette fois, la « tentation obscurantiste » d’une certaine gauche, dont elle entend se démarquer. La dérive d’une deuxième gauche, radicale, révolutionnaire, altermondialiste, vers une nouvelle forme de totalitarisme, fourvoyant avec l’islamisme, qu’elle décrit, nous paraît juste et précise. A vrai dire, on finit même par se perdre au milieu de tous les noms qu’elle cite, ou de toutes les associations dont elle souligne la dérive, telles que le MRAP bien sûr, Une Ecole pour tous, les Etudiants musulmans de France, ou la revue Nouvelles questions féministes et les propos de sa fondatrice Christine Delphy … etc … Il serait bien entendu trop long de les citer tous. L’analyse qu’elle fait de la tentation de certains milieux tiers – mondistes à s’allier avec des islamistes, comme à Durban en 2001, ou au Forum social européen à Londres tenu du 14 au 17 octobre 2004, est pertinente. Les dérives communautaristes, le soutien aux Frères musulmans ou à la vision rétrograde des islamistes parce qu’opposants au capitalisme, à l’Amérique, et parce que figure de l’Autre, victime car non blanc[1], ne fait pas de doute chez certains. Son analyse du jeu et de la concurrence entre sensibilités dites « anti – colonialistes » et « anti – fascistes » au sein de la gauche dite « progressiste » et au sein d’une même personne, est fortement intéressante. A ce titre, cet essai est à mettre en relation, d’une part avec Le sanglot de l’homme blanc de Pascal Bruckner[2], d’autre part, sans doute, au Socialisme des imbéciles, plus marqué sur l’antisémitisme, d’Alexis Lacroix[3].
Inutile de revenir plus encore sur cette alliance d’une partie de la gauche militante avec les islamistes, alliance où les premiers seront bien plus les pions des seconds, que l’inverse, selon l’auteur. Pour un refus de l’utilisation simpliste du mot « islamophobie » comme une forme de racisme, au lieu de la critique d’une idéologie, pour mieux connaître les milieux militants désignés aujourd’hui sous le terme d’ « islamo – gauchistes », l’islamisation grossière d’une forme de féminisme, la pétition révoltante des « Indigènes de la République » ou les « idiots utiles » du relativisme culturel : ce petit essai de 166 pages est fort utile, et nous le conseillons.
Il nous faudrait néanmoins revenir sur quelques points, de détail sans doute, mais qui soulignent nos différences, et parfois, les raccourcis de l’auteur. Il apparaît en premier lieu, qu’elle s’adresse à la gauche, au « Parti du mouvement », auquel elle dit appartenir. Le problème, alors, est que son analyse, reste de gauche, par la gauche et pour la gauche. C’en devient presque une histoire de famille. Elle ne dit mot de la lutte anti – totalitaire venant de droite, par exemple. Sans doute, n’est – ce pas le sujet, mais au final, on croirait que les sensibilités dites « anti – colonialistes » et « anti – fascistes » serait le seul fait de la gauche. En vérité, elle reste dans un schéma de gauche, qu’elle appelle « progressiste » et dont la gauche serait le tenant. Elle pêche là, nous semble – t – il, par opposition systématique et intrinsèque à la droite, comme si cette dernière ne pouvait incarner un vent progressiste et qu’elle se limitait à ce qu’on nomme le conservatisme, la tradition, voire la réaction. Au final, la droite n’apparaît que sous le nom de Nicolas Sarkozy[4], à qui elle reproche (le livre date de 2005) une politique communautaire, voire communautariste, sur le modèle anglo – saxon, privilégiant la création du CFCM[5], établissant l’archaïsme religieux au détriment des musulmans laïques. Procès un peu excessif sans doute, compte tenu de la difficulté d’organiser le culte musulman en France, sans pouvoir non plus, en exclure les sensibilités ; et procès dépassé sans doute, compte tenu des positions – nouvelles ou précisées, selon chacun – du candidat Sarkozy pour la conception républicaine laïque française, qui n’épouse pas la vision communautaire. La question, complexe, reste encore à se préciser dans les faits, chez ce dernier.
Mais elle pêche, plus, sans doute, par l’orthodoxie, non pas marxiste ou altermondialiste, mais à vrai dire « déconstructionniste »[6], qu’elle nomme « progressiste », dont elle fait preuve, dans des domaines tels que le féminisme, l’homosexualité ou encore ce qu’elle nomme « raciste ». Si sa gauche à elle est sans doute préférable à l’autre gauche qu’elle dénonce, et plus ouverte, il n’en reste pas moins qu’elle tient des positions figées dans les domaines précités, percevant malgré tout l’Histoire comme un boulevard du « progressisme », où les relations entre hommes et femmes, entre homosexuels et hétérosexuels, ou autres catégories de personnes sont perçues comme des relations entre communautés, devant bénéficier de « droits » toujours plus accrus et plus égaux. Au diable alors la philosophie, la morale ou la nature qui pourraient démontrer quelques différences intrinsèques entre ces catégories construites. Ainsi serait rejetée dans le camp de la réaction, de la tradition, de l’archaïsme, voire de la droite donc, toute analyse, toute perception qui n’emprunterait pas ce boulevard. Or s’il est évident que l’égalité entre les hommes et les femmes est un but, que l’absence de discrimination quotidienne envers les homosexuels en est un autre, il nous semble qu’il ne faudrait pas gommer toute différence d’ordre biologique ou naturel, affirmant que l’homme et la femme, de par leur physiologie différente, ne peuvent pas être partout et indistinctement égaux dans tous les domaines du monde ; ni que les couples hétérosexuels et ceux homosexuels appartiennent à un ordre différent, donc participent à une situation différente, qui ne leur permet pas, en principe, d’accomplir le même type d’actes ( la procréation par exemple) et donc d’obtenir les mêmes droits (le mariage ou l’adoption par exemple).
Et c’est parce qu’elle néglige ces questions morales et philosophiques qu’elle qualifie assez rapidement d’ « intégristes » certaines visions plutôt traditionnelles vis – à – vis des femmes ou des homosexuels. Ainsi, si elle démontre que Tariq Ramadan possède véritablement une vision archaïque et réactionnaire sur ces questions[7], de par sa vision fondée sur un certain islam, il ne faudrait pas pour autant qualifier ainsi tout propos qui refuserait – comme je l’ai fait – de voir les couples hétérosexuels et homosexuels comme de même nature morale et philosophique. C’est, il semble, pour les mêmes raisons qu’elle ne s’ancre pas au fond de la réflexion sur un thème comme la « colonisation » par exemple. En l’espèce, si elle dénonce, à juste titre la description faite par Pascal Blanchard et Nicolas Blancel d’un « idéal républicain et universaliste » intrinsèquement tenté par le « colonialisme », celle de Laurent Chambon d’une République qui se fait « particulariste contre les gays » ou la tentative d’Esther Benbassa de « démontrer que les républicains son racistes envers les musulmans comme jadis envers les Juifs », les qualifiant d’ « intellectuels actuellement complaisants envers l’islamisme » ; elle ne donne sans doute pas au lecteur les moyens de contrer ces propos outranciers et fumistes. Moyens qui nécessiteraient de resituer les phénomènes coloniaux dans leur ensemble – sans les limiter à leur seule phase européenne –, tant au niveau historique que dans leur composante philosophique et intellectuelle[8].
Caroline Fourest dit également appartenir à une gauche qui « s’est construite dans le rejet des idées moralistes, intégristes et totalitaires »[9]. Si nous nous rallions totalement à la lutte contre les deux derniers adjectifs, il nous faudrait plus de précision sur ce qu’elle entend par le premier. Voulait – elle dire « moralisantes » fustigeant ainsi une gauche ultra – dogmatique et figée, rejetant tout ce qui n’est pas comme elle ; ou bien entendait – elle par là, désigner tout mouvement qui justifierait son action par la morale ? Dans ce dernier cas, la proposition est troublante, faudrait – il rejeter la morale en tout point de vue ? N’y aurait – il pas là confusion entre la morale véritable, soit la Raison, et ce qu’on nomme habituellement « la morale chrétienne » ? Le point reste à préciser, nous ne trancherons pas.
Deux points restent encore à souligner. Sur le fond, l’auteur a tendance, là encore à sur – interpréter certains propos, selon ses propres préjugés. Ainsi qualifie – t – elle de « racistes »[10], les propos d’Oriana Fallaci dans La Rage et l’orgueil[11], dénonçant la forte démographie des musulmans comme une arme pour l’islamisation, de l’Europe notamment, nuisant à sa critique de l’islam comme idéologie. Si les propos peuvent lui déplaire, il apparaît fallacieux de les qualifier de « racistes ». Il est trop facile en effet de crier à la stigmatisation contre une catégorie de personnes dès qu’un propos les touche ; Oriana Fallaci s’en explique d’ailleurs par la suite dans La force de la Raison[12], en citant simplement des statistiques. Là encore c’est plus la forme du propos que le contenu qui choque, aboutissant à stigmatiser, non les musulmans, mais au contraire l’écrivain d’origine italienne, qui dénonçait justement l’élan à la dénonciation de tout propos marginal comme « raciste » dans l’intelligentsia européenne[13].
Enfin, sur la forme, d’un point de vue épistémologique cette fois, on a pu regretter l’utilisation trop creuse par Caroline Fourest de citations trouvées sur des forums de site internet ou de simple présence d’une personnalité à une réunion. Dans l’ensemble, certes, sa démonstration reste efficace et nous ne remettons pas en cause celle – ci, les propos et les participations de certains à des congrès et/ou réunions dites « islamo – gauchistes » étant trop récurrents pour pouvoir les négliger ou les considérer comme de la naïveté, comme elle l’explique. Simplement, il nous faut noter que parfois, de la même manière qu’elle a tendance à condamner trop rapidement un propos au nom d’un certain « progressisme » - en fait un « déconstructionnisme » -, elle s’appuie sur des propos relevés sur des forums, auxquels il sera toujours possible de répondre qu’ils ne sont pas le fait des tenants du site.
Si ces imperfections épistémologiques, méthodologiques, ou simplement philosophiques, viennent parfois nuancer la qualité de la démonstration, il n’en reste pas moins que celle – ci reste entière, pertinente et très utile, à l’heure ou la démagogie de l’alliance dite « islamo – gauchiste » a pénétré non seulement les militants d’une certaine gauche, mais aussi l’univers médiatique du pays.
[1] C’était déjà ce qu’exprimait Sartre dans sa préface virulente du livre de Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris : Maspero, 1961 ; si virulente d’ailleurs qu’il avait dû ensuite revenir sur ses propos justifiant le meurtre des blancs comme « colons » par essence.
[2] Pascal Bruckner, Le Sanglot de l’homme blanc, Paris : Editions du Seuil, 1983, réédité collection Points en 2002
[3] Alexis Lacroix, Le socialisme des imbéciles. Quand l’antisémitisme redevient de gauche, Paris : La table ronde, 2005
[4] Page 109
[5] Conseil français du culte musulman
[6] Issu notamment de la philosophie de Michel Foucault, qu’elle cite dans son livre pour critiquer la lecture simpliste qu’en font les partisans du relativisme culturel, nous reprenons ce terme pour désigner au sens large la conception qui veut que, tout ayant été construit, tout doit être soumis à déconstruction, au risque de balayer de constructions non dépourvues de sens philosophique ou moral. C’est bien souvent ainsi que nous paraît pouvoir être décrit tout un ensemble de considérations et de positions venues de la gauche française (ou occidentale dans son ensemble, mais nous manquant là une connaissance approchée, nous préférons donc en rester au cas français). Un tel schéma permet d’expliquer, par exemple, l’opposition de gauche à toute tradition, vieille construction devant être déconstruite au profit d’une nouvelle construction. Bien entendu, il existe toujours un écart entre la théorie et la pratique, et l’esprit humain, bien souvent, fait preuve de réalisme et de pragmatisme, y compris lorsqu’il est bercé d’idéologie, d’autant plus dans une société libre.
[7] Page 105
[8] Certes, elle cite ces « intellectuels » au détour d’une phrase et n’insiste pas sur leur cas. Néanmoins, il nous semble qu’il n’est pas possible de répondre à leurs propos simplistes et accusateurs sans prendre en compte un certain nombre de questions philosophico – historiques et morales ; questions, justement, que Caroline Fourest, semble, au nom de son « progressisme » laisser de côté. Le caractère « colonialiste » par exemple n’est pas choquant en soi si on le replace dans son cadre civilisateur et éducationnel, cadre que nos sociétés post « décolonisations » ont en fait abandonné par mauvaise conscience. Ce n’est en fait que le sens péjoratif et dénonciateur que donnent Blanchard et Blancel à ce mot qui est en réalité contestable. Autrement, l’analyse ne nous paraît pas en soi si grossière, car toute entreprise universalisante pourrait être vu sous l’œil du « colonialisme », tout dépend du sens normatif que l’on prête à ce mot en réalité. Nous en touchons notamment un mot dans l'article sur Boutros Boutros – Ghali, Shimon Peres, 60 ans de conflit israélo – arabe.
[9] Page 12
[10] Page 70
[11] Oriana Fallaci, La Rage et l’orgueil, Paris : Plon, 2002
[12] Oriana Fallaci, La Force de la Raison, Paris : Editions du Rocher, 2004 que nous analysons ici : Orianna Fallaci : La force de la raison
[13] La manière avec laquelle, bien souvent, l’intelligentsia médiatique et politiqur qualifie le candidat Philippe de Villiers de « raciste » au motif qu’il a parlé d’ « islamisation progressive de la France » donne malheureusement raison à Fallaci.