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16 novembre 2006 4 16 /11 /novembre /2006 23:49

Jean Pierre Rioux, La France perd la mémoire. Comment un pays démissionne de son histoire, Paris : Perrin, 2006

Jean-Pierre-Rioux.-La-France-perd-la-memoire.jpg

 

Jean Piere RiouxSpécialiste d'histoire politique et culturelle contemporaine, directeur de la revue scientifique Vingtième Siècle, chroniqueur à La Croix et à Sud-ouest, Jean pierre Rioux, professeur à Sciences Po, publiait en avril dernier La France perd la mémoire. Livre où il revient sur les conflits de mémoires qui touchent l'hexagone depuis plusieurs années. Bien qu'historien scientifique, universitaire, peu engagé, force est d'avouer que son livre est polémique. Nombre contesteraient ses analyses sur le bilan de santé d'une «Nation - mémoire», à son sens, peu encourageant. A vrai dire, nous ne contesterons pas vraiment cette vision des choses qui veut que les conflits de mémoires de différents groupes interposés, à travers différentes communautés, ont créé un climat douloureux et peu encourageant pour l'avenir de l'esprit national français. Communautarisée, divisée, racialisée, opposée, la France se porte mal. Pas de doute.

 

Pour autant, nous ne rejoignons pas toujours l'auteur dans ses sentiments citoyens. Ainsi, bien que chroniqueur à La croix, et préoccupé par la ferveur d'un projet national commun , il considère que le 29 Mai 2005 et le rejet du Traité pour une constitution européenne ont été un coup d'arrêt négatif à l'avenir national, divisant par là même, les générations. Sans revenir sur ce débat, ce point peut – être important pour comprendre l'orientation de l'historien.

Bien écrit et engagé, le livre reste malgré tout difficile d'accès, s'appuyant sur uns stylistique détournée, qui bien qu'engagée, rend la thèse peu vivace, et honnêtement un peu ennuyeuse. Il aurait sans doute eu plus de portée en étant plus vigoureux.

Mais l'apport essentiel du livre reste la vision d'ensemble maîtrisée, le regard d'un historien reconnu et confirmé sur certaines dérives des trente dernières années, dans le domaine de la mémoire des individus, des groupes et des communautés. Ainsi revient – il sur les premières virées des «pépés» de la France rurale et leurs mémoires régionales dans les années 70, sur l'exaltation des patrimoines dès 1980, sur cette obsession du tout patrimoine, du tout mémoire avec l'ouverture de l'année du patrimoine qui débouchera sur le succès des journées du patrimoine. Il s'attarde encore sur les «hésitations de mémoires», ces conflits sur la vision du passé émergeants à l'occasion de la commémoration de la révolution française en 1989. Enfin, aborde – t – il la question de l'enseignement de l'histoire de France et de ses mauvais résultats, avant de finir véritablement sur les difficultés dont nous ne sommes pas sortis autour des mémoires coloniales, l'Algérie surtout, qui constitue un tournant, qui porte un coup à la mémoire nationale française, et le reste des anciennes colonies, notamment les Antilles. Celles – ci s'inspirant également, dans une certaine mesure, des conflits mémoriaux touchant à Vichy et la seconde guerre mondiale.

Pourtant, nous étant entretenu avec l'auteur, nous avons été le plus troublé par son explication de la multiplication de ces conflits mémoriaux. Selon lui, les conflits de mémoires seraient à lier au présentisme, c'est – à – dire à un nouveau rapport au temps. Selon  Hegel en effet : «Le devenir humain est une historisation». La force d'une société disait encore Benjamin constant, est «d'immoler le présent à l'avenir», et c'est cela, selon Jean Pierre Rioux, que nous serions peut – être en train de perdre. En clair, selon lui, la mémoire nationale se nourrirait à la fois d'un héritage et d'un projet, or les médias[1], la société de consommation, l'écart culturel entre les générations[2], les vies à vitesses variables de temporalité ainsi, surtout, que le processus d'individualisation des choix que décrivait le grand Tocqueville, réduiraient voire anéantirait le projet futur commun. L'Homme démocratique ou l'Homme de paix de Tocqueville succomberait à l'activisme qui parie sur la quotidienneté sécurisante et à la monotonie répétitive du présent[3]. C'est particulièrement profond et intéressant. Ce serait en fait, le regard vers un certain passé, sans projet commun, qui relierait le conflit des mémoires aux mots de Tocqueville.

Loin de moi, l'idée de contester le message visionnaire et particulièrement impressionnant de Tocqueville, qui, dès 1830, réussit à percevoir des faits bien réels et considérables plus d'un siècle et demi plus tard. Pour autant, je crois qu'il est extrêmement contestable de lier la profusion des mémoires à ce phénomène, d'attribuer le regard conflictuel vers son passé au fait que le présent s'est routinisé et qu'il n'y a plus de perspectives d'avenir. O certes, je ne nierai pas la force du présentisme, ce que je conteste, c'est la réduction des conflits de mémoires à cette seule explication. D'une part, une telle vision fait disparaître l'extériorité des revendications mémorielles face à l'ancienne nation : le fait que les conflits naissent de populations soient immigrées- les populations maghrébines musulmanes pour l'Algérie -, soit anciennement contestées en tant que participant à la nation selon certains visions de la nation – le cas des juifs pendant la guerre -, soit naissent de populations éloignées et intégrées plus tardivement à la nation – le cas des Antillais. D'autre part, il faut aussi prendre en compte – même si celles ci peuvent nous déplaire - que les revendications mémorielles, même issues de groupes et de communautés, peuvent tout à fait elles – mêmes s'ancrer dans des projets nationaux, au même titre que d'autres, la reconnaissance de minorités ou de souffrances de minorités faisant partie du projet. Enfin, on pourrait tout à fait défendre brillamment la thèse que les conflits de mémoires et le présentisme, tout au contraire, participent de mouvement inverses, opposés et contradictoires. L'un s'inscrivant dans le «processus de civilisation» ou «civilisation des moeurs»[4] au sens de Norbert Elias, l'autre s'inscrivant au contraire parmi le retour des conflits, voire le retour de la violence ou de la barbarie (Thérèse Delpech) – que certains appellent "brutalisation"(Mosse, Audouin - Rouzeau) - symbolique d'abord, puis physique, peut – être, ensuite, dénoncée par certains auteurs.

Ainsi, si l'observation des faits, les conflits de mémoires, nous sont communs, leur explication nous paraît bien différent des raisons invoquées par Jean Pierre Rioux, dont la liaison avec le présentisme, originale et intéressante, nous paraît, malgré tout, limitée.

 

  
BIBLIOGRAPHIE

Crubelier(Maurice), La mémoire des français. Recherches d'histoire culturelle

Halbwachs(Maurice), Les cadres sociaux de la mémoire, Paris : PUF, 1948
et La mémoire collective, paris : PUF, 1925
Namer(Gérard), Halbwachs et la mémoire sociale, paris : L'Harmattan, 2000

-Mosse(George Lachmann), De la grande guerre au totalitarisme : la brutalisation des sociétés européennes, Paris : Hachette - Littératures, 1999, préface de Stéphane Audouin - Rouzeau
-Delpech(Thérèse), L'ensauvagement : le retour de la barbarie au XXIe siècle, Paris : Grasset, 2005

 


[1]    JM Cotteret, La démocratie téléguidée, Paris : Michalon, 2006

[2]    Sirinelli (Jean- François), Générations intellectuelles. Effets d'âge et phénomènes de génération dans le milieu intellectuel français, Paris : CNRS, 1987

[3]    Antoine(Agnès), L'impensé de la démocratie : citoyenneté, morale et religion chez Tocqueville, Paris : EHESS, Thèse sous la direction de Pierre Manent, 2002

[4]    Elias(Norbert), La civilisation des moeurs, Paris : Calmann – Lévy, 1991

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