Article écrit pour et publié sur le site http://un-echo-israel.net le 25 juillet.
Par Misha Uzan
http://mishauzan.com
J’habite à Tel Aviv. Face à la « révolte » ou « mouvement des tentes », j’ai décidé de ne pas dresser ma propre tente.
D’abord parce que je n’aime pas beaucoup le camping. Je lui préfère les séjours en zimmerim, ces jolis bungalows qui ont fait la reconversion des kibboutzim, dont le système économique ne tenait plus, pour les faire entrer dans l’économie libérale de la fin du XXe siècle, et pour beaucoup, faire fortune. J’aime ce modèle de réussite et je ne dresserai pas de tente.
Je n’en dresserai pas non plus pour des raisons personnelles. Je ne suis plus étudiant, je n’ai plus les moyens de l’être, et je dois travailler. Je ne peux donc pas me le permettre.
Si je devais pousser la logique individualiste à son terme, je dirais aussi que je ne dresserai pas de tente parce que je n’y ai pas intérêt. Propriétaire, la montée des prix de l’immobilier me fait gagner de l’argent, surtout si les prix de Tel Aviv grimpent plus qu’ailleurs. En revanche si les prix stagnent, voire baissent, je perdrai beaucoup d’argent. Et très franchement je me retrouverai en grande difficulté. Et je ne suis pas le seul dans ce cas. Tel Aviv est aussi une ville d’investissement au fort potentiel pour les propriétaires et les hôteliers.
Aussi je ne dresserai pas de tente parce que la montée des prix dans l’immobilier est plus complexe qu’il n’y paraît et que je ne peux pas approuver toutes les revendications des manifestants.
J’ai soutenu pourtant les mouvements de protestation contre les produits laitiers, beaucoup trop chers en Israël. J’ai soutenu également la baisse des prix des couches et la « révolte de l’huile » (voir Le blog-notes du 7 juillet 2011) qui ont suivies. Je pense aussi que la réforme la plus urgente en Israël, est sans doute celle des transports (voir mon article Les transports : le désordre à l’israélienne). A en croire ce que j’ai lu (Protestation au cœur de Tel Aviv : pourquoi j’ai dressé une (...)), vu et vécu, la dernière réforme de changement des trajectoires était totalement ratée. Je pense que le gouvernement devrait investir massivement pour construire des transports dignes d’un pays de l’OCDE. Plutôt que de planter une tente, je construirais plutôt un bus symbolique sur le boulevard Rothschild, ou un métro pour que les choses bougent. En outre je n’ai pas de voiture, et j’ai refusé d’en acheter jusqu’à présent. Je prends mon mal en patience.
Mais je ne dresserai pas de tente car certaines revendications me paraissent exagérées. Certes, le gouvernement doit résoudre les problèmes de bureaucratie qui ralentissent les constructions. Netanyahou s’y est engagé. Le gouvernement peut aussi et doit proposer des logements sociaux, voire plus de logements étudiants près des facultés. Il a proposé également d’alléger les taxes pour pousser les investisseurs immobiliers à mettre des appartements vides sur le marché. Je soutiens ces réformes-là. Mais elles ne se feront pas du jour au lendemain. Plusieurs réformes ont été prises à ce jour, par le gouvernement, par le ministre de la Construction et du logement Ariel Attias et par la banque d’Israël pour limiter l’inflation immobilière. Elles sont restées insuffisantes parce que la demande était très forte, et l’offre trop faible. Le gouvernement peut essayer d’augmenter l’offre, et ce n’est pas simple, mais il ne peut pas contrôler la demande. Et puis des propositions de loi ont été annoncées pour ces deux prochaines semaines. Le mouvement n’a-t-il pas déjà gagné ? N’est-il pas en train de se radicaliser ?
Aussi je ne dresserai pas de tente car je ne comprends pas bien ce que les manifestants entendent par ‘’réguler’’ ou ‘’fixer’’ les prix du marché. Le gouvernement ne peut évidemment pas décider des prix de l’immobilier à Tel Aviv ou ailleurs, sauf à partir des terrains d’Etat où il construirait des logements sociaux. En dehors de ces terrains réservés, une telle mesure serait non seulement catastrophique, mais surtout quasi-stalinienne si elle était appliquée, car véritable entorse à la liberté économique.
Je ne dresserai pas non plus de tente car je ne vois pas pourquoi ces logements sociaux devraient être construits au centre de Tel Aviv. Non seulement il n’y a que peu de place, mais il faut bien admettre qu’y vivre est un luxe. Nous avons-nous-mêmes (sur un écho) vanté plusieurs fois les mérites de Tel Aviv, devenue une ville internationale, touristique, animée, qui ne dort jamais. Ce développement a un prix, et il est loin d’être à son terme.
N’habite pas à Ramat Aviv ou à Rotschild qui veut. Tout comme, toutes proportions gardées, n’habite pas qui veut aux Champs Elysées, sur l’île de la cité ou à Saint Germain des prés. Lorsque j’y étais étudiant, je n’ai même pas envisagé de m’y loger. Je suis resté en banlieue, chez mes parents, et j’ai économisé. De même, il serait préférable pour qui touche un salaire moyen de se loger en banlieue ou dans le sud de Tel Aviv, plus abordable. Que les manifestants se plaignent du manque de rénovation et de sécurité des immeubles du sud est légitime, qu’ils réclament un contrôle des prix près de la plage ou près du centre Dizengoff n’est pas très sérieux.
Enfin je ne dresserai pas de tente car j’ai cru sentir une politisation extrême du mouvement des tentes, même minoritaire, lorsque la députée Miri Regev (Likoud) et même Ron Huldaï le maire de Tel Aviv, élu et réélu sur une liste de centre-gauche Avoda-Kadima, ont été sifflé en se rendant sur le boulevard Rotschild. En revanche, j’ai bien vu qu’Isaac Herzog (du parti travailliste) et Nitzan Horovitz (de Meretz) ont reçu un accueil très chaleureux. J’ai pourtant de la sympathie pour Horowitz, qui fut commentateur politique avant d’être député, mais je ne crois pas que le mouvement devrait s’ancrer dans un camp politique.
Huldaï, contrairement à Dov Hanin (de Hadash, parti communiste judéo-arabe) qui fut son adversaire aux élections municipales, est un partisan du développement de la ville. Les protestataires ont critiqué la construction de tours de luxe à Tel Aviv et Jérusalem, essentiellement achetées par des étrangers.
Je ne dresserai pas de tente car je trouve démagogique et contre-productif de leur jeter la pierre. Toutes les grandes villes y sont confrontées. Ces tours font certes augmenter les prix, mais donnent aussi de l’ampleur et une certaine beauté architecturale à la ville, et ces étrangers apportent de l’argent et contribuent à l’enrichissement de la ville. Un enrichissement dont nous avons bien besoin.
Aussi je comprends les difficultés que pose l’inflation immobilière et je soutiens certaines réformes, mais pour toutes les raisons expliquées, je ne dresserai pas ma propre tente.
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