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19 juin 2010 6 19 /06 /juin /2010 13:54

Ce dossier est une longue fiche de lecture sur un ouvrage de Michael Marrus, professeur canadien spécialiste de l'histoire de la seconde guerre mondiale et de l'histoire des réfugiés. Cet écrit provient d'un travail universitaire rédigé fin 2006. Ceci explique sa présentation, composé d'un plan.

 

Bonne lecture.

 

 

Marrus (Michael), The unwanted, European Refugees in the twentieth century, New York: Oxford University Press, 1985

 

 The-unwanted.jpg

 

    Professeur d’histoire à l’université de Toronto, Michael Marrus est co-auteur avec Robert Paxton de Vichy et les juifs, il est encore l’auteur de The politics of  assimilation, de L’holocauste dans l’histoire et d’un ouvrage sur Les juifs de France à l’époque de l’affaire Dreyfus. On peut dire que ses thèmes de recherche tournent globalement autour de la question des Juifs. En 1985, il s’intéresse à la question des réfugiés à travers son livre The unwanted, European Refugees in the twentieth century, traduit en français par Les exclus. Réfugiés européens au XXe siècle. Là encore la question des Juifs n’est pas très loin puisqu’ils constituent nombre de ces réfugiés, mais c’est une histoire plus large, plus générale qu’a voulu faire Marrus. En fait à travers la question des réfugiés c’est toute l’histoire du XXe siècle qui Michael Marrusdéfile, de la fin de « la belle époque » au début de la guerre froide en passant par la Grande guerre, la révolution russe, Mussolini, Hitler mais aussi tous les conflits locaux des Balkans à l’Europe de l’est. Alors qu’aujourd’hui encore les travaux sur les réfugiés sont peu nombreux et s’illustrent par quelques revues telles que le « Journal of refugee studies » ou quelques dérivés qui s’attachent plus aux migrations qu’aux réfugiés proprement dits, telles que « Migrations et sociétés » ou l’ « international migration review », et qui le plus souvent se cantonnent à des études de cas, Marrus, lui, se lance dans un vaste travail à l’échelle de l’Europe et à l’échelle du XXe siècle. Son ouvrage n’a-t-il pas en fait pour but de montrer l’émergence d’une conscience d’un problème de réfugiés à partir des années 1880, dans toute l’Europe ?

 

Ainsi le terme de réfugié est en soi un problème, vis-à-vis d’une migration par exemple, par conséquent avons-nous essayé avant tout d’en dessiner les contours pris en compte par l’auteur, puis nous avons étudié la question des réfugiés comme phénomène de masse et enfin si Marrus a tenté de montrer l’impact des mouvements réfugiés sur la politique européenne et les relations entre Etats, nous avons cherché à relier cette approche à l’histoire qui en est faite, une histoire d’en haut, gouvernementale et institutionnelle.

 

            I. Qui sont les réfugiés ?

 

La figure du réfugié est d’une définition difficile car il en existe de plusieurs sortes —politiques, économiques — dont les caractéristiques ont pu évoluer à travers le temps, l’Europe ayant radicalement évolué en matière d’infrastructures. La charte de l’ONU en 1946 en propose une définition que nous résumons ainsi : est réfugié toute personne qui est hors de son pays et qui ne peut ou craint d’y retourner par peur de persécutions du fait de sa race, de sa religion, sa nationalité, de son appartenance sociale ou politique, qu’il soit reconnu citoyen — ou sujet aurait-on dit autrefois — de ce pays ou qu’il n’ait pas de nationalité et que ce pays soit celui où il réside habituellement. L’auteur cependant entend utiliser une définition plus large que celle de l’ONU, dans une posture compréhensive, prenant en compte plus simplement les « personnes dispersées » par des persécutions, des catastrophes de guerre ou des mesures punitives ou discriminatoires envers eux, et qui par conséquent ont cherché un refuge et une protection en Europe, ou bien ont quitté un pays européen. Il restitue en fait tout déplacement de réfugiés à l’intérieur de l’Europe, vers l’Europe et à partir d’Europe. Par ailleurs Michael Marrus  insiste plus sur les masses que sur l’exil de quelques célèbres révolutionnaires. Face à la diversité et à la largeur de cette définition il nous faut indiquer plus précisément qui sont pris pour réfugiés.

 

                   A. Des minorités.

 

C’est avec les pogroms menés sur les terres du Tsar de l’Empire russe que le phénomène des réfugiés prend l’aspect qui fut le sien au XXe siècle. Car c’est en effet à plus de 4 millions de Juifs qu’est confronté l’Empire russe, en s’étant étendu à l’ouest. Au total c’est 5,6 millions de Juifs en Europe centrale qui sont touchés. Les persécutions envers ces minorités à partir de 1880 donnent naissance aux premiers exodes de masse. C’est même parfois un enjeu entre Etats, puisque certains en Allemagne par exemple ont pu considérer la masse de Juifs chassés par les russes comme une menace envoyée par ces derniers. A vrai dire le problème des réfugiés juifs recouvrent tout l’ouvrage de Marrus, et c’est pourquoi nous nous devions de lui faire une place. L’auteur recherche les groupes forcés à l’exil directement ou indirectement, par conséquent il évoque toutes les migrations des Juifs d’Europe de l’est de la Russie aux Etats-Unis ou en Europe de l’ouest, depuis la Hongrie, la Roumanie ou la Pologne dans les années 30 et depuis l’Allemagne bien entendu à partir de l’arrivée des nazis ; il occupe encore une part de son développement au phénomène du sionisme et aux départs en Israël[1]. Les réfugiés juifs sont encore ceux de la seconde guerre mondiale où il analyse l’évolution du projet nazi, qui pousse à l’émigration hors d’Allemagne au départ pour finalement interdire aux Juifs de quitter l’Europe occupée en vue de l’application de la solution finale. De l’accueil des Juifs polonais par la France, ou des intellectuels juifs allemands par la Grande Bretagne ou les Etats-Unis, rien n’est oublié par cet historien, spécialisé sur la question juive.

 

Reste que les Juifs, s’ils sont la minorité la plus nombreuse et la plus touchée par l’exil forcé, ne sont pas les seuls. C’est toute l’Europe que l’auteur parcourt, depuis l’Arménie indépendante de 1919 à 1921, partagée par le traité de Moscou, jusqu’aux Balkans. Concernant les Arméniens il ne peut éviter de mentionner les déplacements de dizaines de milliers de personnes qui fuirent les attaques turques dès avant la première guerre mondiale, contre cette minorité chrétienne au nord de l’Empire ottoman. Ceux qui n’ont pas pu fuir ont pour la plupart succomber aux massacres à grande échelle que beaucoup nomment aujourd’hui sous le nom de « génocide des arméniens ». Quant aux Balkans au début du siècle, partagés entre la domination des Habsbourg et le soutien des Russes aux Serbes orthodoxes, là encore s’est posé le problème des minorités religieuses déplacées. Même situation entre les Turcs et les Grecs qui ont cherché à conclure des accords touchant les populations grecques en Anatolie ou turques en Grèce et qui après la première guerre mondiale ont forcé au total un million et demi de personnes au déplacement, exil qui toucha également des Chypriotes, des Arméniens et même des Arabes de l’église orthodoxe. Pour toute une partie de l’Europe, la question des réfugiés aurait pu se réduire à une question du traitement des minorités, mais c’était sans compter d’autres phénomènes, surtout à partir de la Grande guerre.

 

                   B. Des opposants politiques.

 

Dans un ouvrage divisé en cinq chapitres et un épilogue, Marrus accorde un chapitre aux exils provoqués par l’expansion des fascismes ou dictatures militaires et un chapitre aux conséquences du joug nazi. C’est dire si la question de l’exil d’opposants politiques n’a pas à être mise de coté. Ainsi il mentionne le cas des réfugiés italiens, qui limités au début à quelques grandes figures d’opposants se sont ensuite étendus à un million et demi de personnes avec le renforcement du régime par Mussolini en 1926. Ce dernier prit d’ailleurs pour mesure une interdiction de l’ « émigration abusive », supprimant les passeports et contrôlant toute allée et venue. Ces réfugiés italiens, anti-fascistes, mais surtout socialistes et anarchistes ont aussi eu des répercussions en France où assassinats et attentats contre des représentants du régime ont été menés à Paris, entraînant une réponse du Duce en France même. Il ne faut pas oublier non plus les réfugiés de la guerre d’Espagne, où la guerre entraîna nombre de déplacements et la défaite des républicains encore plus. L’auteur insiste aussi sur le climat international de l’époque, depuis la révolution russe et la guerre civile en Russie entre blancs, rouges et paysans, la victoire des Bolcheviks et ses conséquences mais aussi les grandes purges menées par Staline entre 1936 et 1938, qui là encore ont donné naissance à nombre de réfugiés, dont le plus célèbre reste Trotsky. D’une certaine manière, les opposants à la révolution russe qui débouche sur une guerre civile et qui entraîne aussi la continuation de la guerre dans une vaste partie de l’Europe de l’est, peuvent convenir à une autre catégorie de réfugiés que celle des opposants politiques, celle des déplacés de guerre.

 

                   C. Des déplacés de guerre.

 

La place que Michael Marrus fait à la guerre n’est pas négligeable, comment pourrait-il en être autrement au XXe siècle d’ailleurs ? Mais c’est aux réfugiés de la guerre qu’il s’intéresse et non aux combats et champs de bataille. A ce compte il ne néglige pas les guerres locales, qui ont elles aussi leur part de réfugiés. Ainsi se consacre-t-il à la guerre gréco - turque et aux échanges de populations entre Grecs et Turcs comme nous l’avons dit mais aussi entre Grecs et Bulgares entre 1919 et 1928. Les déplacés de guerre se sont aussi bien évidemment ceux de la première guerre mondiale qui fait basculer l’Europe dans la guerre totale et dont les conséquences pour les populations civiles sont désastreuses, en Belgique envahie par les Allemands, dans le France du Nord et encore plus à l’est, en Pologne face à l’arrivée des troupes allemandes par exemple. L’auteur insiste en outre sur l’impact considérable de la première guerre mondiale où les civils, plus que touchés sont devenus un enjeu de la guerre. Par ailleurs, en 1918 c’est neuf millions et demi de réfugiés qu’on dénombre suite à la recomposition de nouveaux Etats nations. La fin de l’empire des Habsbourg par exemple n’est pas sans conséquence, puisque alors certains ont pu choisir par exemple de rester Autrichien et fuir d’Italie vers l’Autriche.

La question des déplacés de guerre permet encore de voir le sens plus large dans lequel les réfugiés de Marrus sont entendus puisqu’il estime logique d’y inclure ceux qui ne sont pas nécessairement sortis de leur frontière, comme pendant l’exil du nord vers le sud de la France par ceux qui craignaient à juste titre une nouvelle percée de l’armée allemande en 1940 et qui ne voulaient pas revivre les conditions de 1914. Comment ne pas non plus indiquer à nouveau le cas des Juifs qui du fait de la guerre directement et de la répression nazie, tentaient de fuir en Italie, en Espagne, en Suisse… Marrus souvent en effet, renverse l’approche pour analyser l’accueil ou le refus d’accueillir des pays vers lesquels les réfugiés veulent se déplacer, que ce soit avant la guerre, pendant ou après, car il s’agit bien de millions de personne à gérer, et comment ?

 

 

         II. Des réfugiés par millions : un phénomène de masse.

 

A travers les 371 pages de l’ouvrage, Michael Marrrus, par tous les développements qu’il fait, cherche bien à montrer une chose, que le phénomène des réfugiés au XXe siècle a pris une ampleur telle, qu’aucun pays ne put s’en désintéresser.

 

                   A. Un phénomène total ?

 

Marrus insiste sur un point essentiel, il est capital selon lui que la plupart des réfugiés du XXe siècle diffèrent de ceux du XIXe par leur nombre, par leur caractère le plus souvent puisque nombre des réfugiés du XIXe sont des personnalités, à l’image de Marx par exemple, et par la durée de leur déplacement, puisque ceux du XXe ont été amenés le plus souvent à changer plusieurs fois de pays, à l’image des réfugiés du nazisme, qui de France ou des Pays-Bas par exemple ont encore dû fuir face à l’avancée des nazis. L’auteur souligne qu’au XIXe certaines institutions se mettent en place telles que « La société des amis de la commune » par exemple, ou bien que certaines batailles sont annonciatrices dans les déplacements qu’elles provoquent aux guerres du XXe siècle, comme le départ de 13000 personnes de la ville de Prague en 1866. Enfin il n’oublie pas les réfugiés polonais suite à l’unification du Reich allemand. Ces déplacements sont justement le fait du développement et du succès des idées nationalistes, mais c’est au XXe siècle que le phénomène est total. L’adjectif que nous avons choisi n’est pas anodin. Il fait bien évidemment référence à la guerre totale, celle qui mobilise toute la société, des millions d’hommes sur le front, l’aide des femmes à l’arrière, tous les moyens de production, toutes les institutions, politiques, comme économiques ou culturelles. Au XXe siècle, lorsqu’un pays est en guerre, la mobilisation est totale. Or Michael Marrus se focalise sur le caractère de masse du problème des réfugiés : des millions de personnes qui subissent les persécutions d’un ou plusieurs Etats, de la guerre, qui nécessitent des soins, un accueil, des camps, des quartiers, des habitations, le retour au travail, la reprise d’une vie. S’il est conscient que le problème des réfugiés ne constitue pas la source des conflits du XXe siècle, il devient progressivement une question fondamentale qui occupe toute l’organisation des Etats d’Europe, car lorsque des millions de personnes veulent fuir ou entrer dans un pays, la situation est bouleversée, la société doit aussi se mobiliser si elle veut résoudre le problème, car comme le dit l’auteur, il y un moment ou ces réfugiés ne sont plus tout à fait les bienvenus, quels que soient les principes que ce sont donnés les Etats accueillants. Il y a là, à notre sens, la volonté de reconnaître la question des réfugiés au XXe siècle comme un phénomène total, car un problème de masse ne peut laisser indifférent.

 

                   B. Comment y répondre ?

 

D’une certaine manière Marrus cherche à montrer que face à l’exil de masses provoqué par de multiples causes, qui le plus souvent relevaient d’un bouleversement de la société qui provoque l’exil, comme c’est le cas avec un changement de régime tel que le fascisme, le nazisme, la révolution russe ou la création de nouveaux Etats après la Grande guerre, il a fallu que les Etats vers lesquels se dirigeaient les persécutés trouvent les moyens de gérer cet afflux. Le premier élément est le développement d’institutions privées, telles qu’a pu l’être l’Alliance israélite universelle basée à Paris, dans son aide aux Juifs de l’est, pour les faire venir à l’ouest ou les faire partir en Israël. A cet égard, les institutions juives ont été d’avant-garde, se divisant en un réseau d’associations, à Paris, à Londres ou aux Etats-Unis. Plus la question des réfugiés a pris de l’ampleur, plus les associations d’aides aux réfugiés se sont développées, aussi bien pour les Juifs, les Arméniens, les Italiens…  Le tournant fondamental vient après la première guerre mondiale avec ce que Marrus a appelé « L’ère Nansen ». En effet avec la création de la Société des nations, naît également une Haute commission pour les réfugiés sous l’égide de Fridtjof Nansen, un riche explorateur et scientifique norvégien, véritable figure publique, prêt à consacrer toute la fin de sa vie à la résolution du problème des réfugiés. Nansen se lance donc dans la coordination avec les associations internationales d’aide aux réfugiés, trouve des financements, mais surtout il engage des pourparlers avec les gouvernements et les chefs d’Etat, de Herbert Hoover aux Etats-Unis, aux Bolcheviks, en passant parla France et la Grande Bretagne. Il cherche à chaque fois l’accord, le compromis : le retour des réfugiés de la  guerre civile russe par exemple. C’est encore Nansen qui se pose entre Atatürk le nationaliste turc et le gouvernement grec et propose un échange de populations. Bref c’est par la voie de la négociation, la voie institutionnelle, diplomatique, que Nansen entend résoudre la question. Si la montée des fascismes vient mettre un sacré coup d’arrêt à l’espoir apporté par Nansen, il n’en reste pas moins qu’il a introduit l’idée que les institutions étatiques et les gouvernements doivent prendre en charge le problème des réfugiés de masse, et c’est cette approche que l’ouvrage de Marrus privilégie dans la forme d’histoire qu’il fait.

 

         III. Une histoire d’en haut, gouvernementale et institutionnelle.

 

L’historien de Toronto ne le cache pas, il a voulu montrer l’ampleur que prenait le phénomène des réfugiés, l’ampleur du problème y compris au sein des gouvernements européens. Par là même, c’est l’histoire des mesures concernant les réfugiés qu’il fait, l’histoire des institutions pour réfugiés, l’histoire des gouvernements face aux réfugiés ou des gouvernements qui créent les réfugiés, mais pas l’histoire proche des réfugiés eux-mêmes, on n’y apprend pas ce que c’est que d’être réfugié au XXe siècle.

 

                   A. L’influence des réfugiés, une histoire générale…

 

En évoquant les réfugiés comme des masses, Michael Marrus donne à son travail un aspect nécessairement d’histoire quantitative. Combien de nombres ne peut-on lire dans son ouvrage ! Entre les 50000 Bulgares donnés à la Bulgarie par les Grecs contre 30000 Grecs envoyés en Grèce, entre le million et demi d’italiens et les 525000 juifs d’Allemagne avant Hitler, le travail ne manque pas de chiffres. C’est évidemment pour montrer l’ampleur du phénomène, par millions nous l’avons dit, que l’auteur nous livre tout cela. Par ailleurs il mobilise un nombre de sources considérable, qui lui ont valu des critiques positives des revues d’histoire, mais surtout ces sources, Europe oblige, sont polyglottes, en anglais, en allemand, en français, en italien … Mais c’est en fait toute l’histoire du XXe siècle qu’il entreprend, jusqu’à la guerre froide. Par conséquent, son travail connaît aussi le défaut de l’histoire générale, à savoir deux éléments à notre sens. Le premier c’est une certaine généralité, aussi précis que soient les faits, on a malgré tout l’impression qu’il suffit de reprendre tout conflit, toute mesure discriminatoire pour y trouve son lot de réfugiés. Ainsi il faut bien avouer que la lecture du livre donne une impression de répétition, de nonchalance, et ennuie quelque peu. Le second élément tient à la critique des sources. En effet, aussi nombreuses soient-elles, dans une histoire de tout le XXe siècle, elles restent fortement composées d’ouvrages d’autres historiens ou philosophes, ou de leurs articles. Ainsi l’auteur prend pour acquis ce qui a déjà été fait, sans reprendre entièrement les archives. Toutefois pourrait-on rétorquer qu’il a consulté les décisions et mesures gouvernementales ainsi que celles des institutions engagées, des associations privées à la haute commission pour les réfugiés. Mais alors l’histoire qu’il édifie est une histoire gouvernementale, institutionnelle, une histoire des grands mouvements, perçue à travers les institutions, l’expulsion ou l’accueil des réfugiés d’en haut, par les autorités et non le mode de vie ou la façon dont les réfugiés l’ont vécu.

 

                   B. Mais pas une histoire totale.

 

Finalement l’ouvrage du professeur évoque assez peu de sources des réfugiés eux-mêmes, il en cite bien entendu, il ne faut caricaturer, mais il n’entre pas réellement dans le cadre de leur vie de réfugiés. Les comptes rendus d’organisations, d’institutions, de décisions gouvernementales, d’ouvrages ou d’articles de revues, ou de la presse de l’époque restent malheureusement trop vastes pour approcher la réalité des réfugiés. On n’est pas au cœur de la guerre ou des centres de réfugiés, on ne connaît pas la réalité de l’exil, la marche d’un pays à un autre, les difficultés de passages, la difficulté d’obtenir un visa pour l’Amérique pour un Juif polonais dans les années 30 pour prendre un exemple célèbre. Quelle est la vie d’un réfugié ? Quelle est sa souffrance ? Quel est l’imaginaire d’un réfugié ? Comment perçoit-il son exil dans chaque cas ? Autant de questions auxquelles Michael Marrus ne répond pas. Certes il ne peut pas tout aborder, nous mentionnons simplement qu’il a fait un choix délibéré, une forme d’histoire et qu’il est possible d’écrire l’histoire d’un autre versant. On pourrait tout à fait entreprendre une histoire anthropologique des réfugiés au XXe siècle : étudier la souffrance du réfugié, les conditions de voyage, les rencontres de voyages mais aussi la marque que porte l’exil sur l’imaginaire du réfugié, sur sa mémoire et pourquoi pas sur son corps. Ne peut-on envisager une histoire somatique du réfugié ? Devenir réfugié suppose un certain nombre de privations, abandonner sa maison, ses biens, ses amis, sa famille parfois. Etre réfugié c’est entrer en contact avec un autre pays, une autre langue, une autre culture. C’est aussi souvent être interné, en camps par exemple à la fin des années 30, c’est susciter une réaction du pays où l’on va, une réaction violente parfois de certains. Marrus évoque les assassinats, les attentats perpétrés par les réfugiés italiens en France mais il ne pénètre pas au fond de leurs pensées. A cet égard il nous semble qu’il y aurait une autre histoire à faire. Sur ce point il nous faut aussi rappeler les travaux actuels menés par les revues précitées, il s’agit en ce cas beaucoup plus de micro – histoire. Notre propos ne cherche pas à dénigrer le travail de Michael Marrus mais simplement à montrer qu’il a privilégié une histoire d’en haut, au détriment d’une histoire plus personnelle peut-être, plus proche du sentiment de l’Homme réfugié. Par ailleurs il ne faut évidemment pas tomber dans l’excès inverse, comme certains le font en politisant certains mouvements de réfugiés pour ne faire que dénoncer leur situation et leurs conditions.

 

 

 

CONCLUSION

 

 

Michael Marrus a tout de même eu le courage de se lancer sur le chemin d’un objet où l’histoire reste à faire. Or on ne peut pas nier que son ouvrage est le fruit d’un travail sérieux, bien mené et tout à fait intéressant. Nous avons reconnu qu’il pouvait parfois être ennuyeux, sa taille y est sans doute aussi pour quelque chose. Le professeur d’histoire de Toronto s’est engagé sur un versant de l’histoire des réfugiés, nous avons vu qu’on pourrait tenter d’en faire un second, à condition bien sûr de pouvoir en trouver les sources. Ne faudrait-il pas en ce sens approfondir l’étude des réfugiés à plus grande échelle et réaliser peut-être un second ouvrage intitulé « Les exclus, une histoire anthropologique des réfugiés européens au XXe siècle ». Il ne faudrait alors pas croire pour autant qu’on parviendrait ainsi à l’histoire totale, qui comme sait l’historien reste un idéal qu’on doit se forcer de poursuivre tout en sachant qu’on ne l’atteindra pas.

Par ailleurs l’épilogue de l’ouvrage étudié précise que le phénomène des réfugiés touche aujourd’hui beaucoup plus les pays en développement que l’Europe et c’est sur eux d’ailleurs que se consacre la plus grande partie des recherches menées par les revues de réfugiés ou de migrations. Toutefois si l’Europe n’est presque plus créatrice de réfugiés, elle est toujours confrontée à l’arrivée massive de centaines de milliers voire de millions de personnes qui souhaitent entrer dans l’Union européenne, et là encore ces arrivées mobilisent l’appareil d’Etat et l’appareil diplomatique entre les Etats créateurs de réfugiés et les Etats accueillants, il y aurait là matière à études pour l’histoire du temps présent.

 


[1] Il s’agit du territoire d’Israël, pas encore de l’Etat qui est aujourd’hui beaucoup plus petit, Israël est ici le nom donné à la région. C’est l’un des noms donnés au cours de l’histoire, on a pu dire aussi « Eretz-Israël », « Palestine », « Qedem », « Canaan », qui désignent tous plus ou moins la même région à des époques différentes.

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commentaires

R
<br /> <br /> Juste un petit coucou en passant, j'espère que tu va bien et que tu nous fera encore partage de tes expériences d'expat...Amicales pensées<br /> <br /> <br /> <br />
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