Les articles de Misha Uzan. Ses publications, ses lectures, ses pensées. Son univers.
Publié le 6 juin 2009 sur le site http://www.un-echo-israel.net
Le Mausolée du Bab et ses jardins, vue du Mont Carmel à Haïfa
La Terre d’Israël est sanctifiée par les trois grands monothéismes. Accueillant le Mont du Temple et tous les lieux les plus saints du judaïsme, c’est vers elle qu’est tournée toute l’histoire juive. Terre de naissance et de la vie de Jésus, les chrétiens lui donnent le nom de Terre Sainte. Enfin, lorsque les musulmans la conquièrent au VIIe siècle, ils construisent la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher à Jérusalem, qui devient bientôt la troisième ville sainte de l’islam.
Au XIXe siècle, cette terre trois fois sainte le devient une quatrième fois de par l’arrivée de la religion Bahaï. Véritable syncrétisme de toutes les grandes religions, et non pas seulement des trois monothéismes, son centre mondial se situe à Haïfa, au nord d’Israël, tandis qu’un autre centre se trouve à Saint Jean d’Acre. Le précurseur de la religion, le Bab, ainsi que son fondateur, le Baha’ullah, y reposent.
Néanmoins c’est à quelques milliers de kilomètres de là, un peu plus à l’est, en Perse, en 1863 qu’est née la foi bahaïe. Elle est le résultat d’une succession de nouvelles révélations divines. La légende raconte que Mirzan Husayn Ali, un jeune noble persan dont le père travaillait pour le Shah d’Iran, renonça à la carrière qui lui était promis et entreprit de passer sa vie à l’aide des opprimés, des pauvres et des malades. Ce choix le mène très vite sur la voie du Babisme, un mouvement religieux lui-même successeur du Shaykhisme du Shayk Ahmad-i-Ahsa’i, un courant dissident du chiisme datant de la fin du 18e siècle. Le Babisme était issu de la révélation de Siyyid Mírzá 'Alí-Muhammad dit le Bab, un marchand de Perse qui à 25 ans déclara être une nouvelle manifestation de Dieu et le Mahdi, le douzième calife attendu par les Chiites et la révélation que les Shaykhistes attendaient incessamment sous peu. Mais arrêté et fusillé par les autorités perses, il annonce lui-même à nouveau l’arrivée imminente de « Celui que Dieu rendra manifeste », le sauveur annoncé par les religions du passé, un envoyer plus important que lui-même. A sa mort Mulla Husayn, le premier disciple du Bab s’applique à diffuser son message jusqu’au 12 avril 1863, jour où Mirzan Husayn Ali, ce nouvel adepte du babisme, révèle qu’il est celui annoncé par le Bab et le porteur d’une nouvelle religion mondiale, éprise de liberté, de modernité, de paix et de justice, le « couronnement de toutes les religions ayant jusqu’alors existé ». Il prend le nom de Baha’ullah et fonde la religion bahaïe.
Son malheureux parcours le mène alors jusqu’à la terre des prophètes hébreux, alors sous domination ottomane. En 1852 déjà, arrêté en tant que babiste, il avait été exilé à Bagdad. Le 21 avril 1863, il est encore contraint de quitter la ville et s’exile à Constantinople, puis à Andrinople et enfin à Saint Jean d’Acre où les Ottomans l’enferment de 1868 à 1877. Il exerce tout ce temps sa prédication et définit les premiers éléments de la religion bahaïe. Envoyant des messages écrits aux grands du monde, du Shah de Perse au Tsar Alexandre II jusqu’à Napoléon III, Guillaume Ier ainsi que le pape Pix IX. Son message est celui d’une paix générale, mondiale et durable. La religion bahaïe se veut l’héritière de toutes les grandes religions qui l’ont précédée : que ce soit le judaïsme, le christianisme et l’islam, mais aussi l’hindouisme ou le bouddhisme. Adam, Avraham, Moïse, Krichna, Bouddha, ou encore Mahomet sont reconnus comme envoyés de Dieu et admis comme prophètes par les bahaïs. Le Baha’ullah est le dernier envoyé de Dieu et ceci pour au moins 1000 ans.
A la mort de son père en 1892 près de Haïfa, Abbas Effendi proclamé Abdu’l Baha, le fils du Baha’ullah, assure la direction de la religion et se charge de la mondialiser. A travers ses voyages, ses conférences, ses écrits, la religion se développe en Europe et surtout aux Etats-Unis et en Inde. Les Bahaïs seraient aujourd’hui entre 6 et 7,5 millions de personnes, répartis dans près de 235 pays. On compte des communautés bahaïes un peu partout, notamment en Inde et aux Etats-Unis, mais aussi dans les pays africains (près d’un tiers) et quelque peu en Europe (30000 en Grande Bretagne, 12500 en Allemagne, 5000 en France). Des centres cultuels bahais existent un peu partout dans le monde : en Inde, aux Etats-Unis, à Panama et bien sûr à Saint Jean d’Acre et à Haïfa où se trouvent les lieux saints du bahaïsme. Une importante communauté de 350 000 personnes vit encore en Iran mais subit persécutions et discriminations. Le Bahaïsme étant postérieur à l’islam, il n’est pas même reconnu comme religion officielle, les bahais y sont des « infidèles non protégés » sans aucuns droits. On ne leur reconnaît pas même le statut de dhimmis (protégés mais soumis) reconnus aux juifs et aux chrétiens en tant que religions du livre.
Alors que l’actualité les oppose tristement, l’histoire lie ici deux pays : l’Iran, la terre de naissance mais aussi de persécution du Bahaïsme, et Israël, sa Terre d’accueil et sa Terre sainte. Israël abrite deux sites d’une splendeur rarissime, à Acre et à Haïfa. C’est à Acre en effet que se trouve le mausolée du Baha’ulla, adjacent au manoir de Bahji où il se retira jusqu’à la fin de sa vie, non loin de la célèbre prison où l’administration ottomane l’avait enfermé. Le mausolée du Baha’ulla, embelli au fil des années par des jardins à la française, est le lieu le plus saint sur terre pour les Bahaïs. Et c’est encore à Haïfa, sur le Mont Carmel, que se trouve le mausolée du Bab, depuis que les restes de son corps, préservés et cachés pendant 60 ans, y ont été amenés, dans le respect des directives du Baha’ullah. Abdu’l Baha, fils de ce dernier et premier gardien de l’Alliance, y est aussi enterré. Ce site magnifique, particulièrement impressionnant la nuit, surplombant la rue Ben Gourion à Haïfa, abrite aussi le Centre mondial Bahaï composé du siège de la Maison Universelle de justice, des Archives internationales bahaïes, d’un centre d’étude des textes, et du centre international d’enseignement. Ces lieux y sont si saints que les Bahaïs n’y sont pas autorisés à vivre (par la tradition bahaïe) mais y viennent uniquement en pèlerinage. Seuls quelques dizaines de membres bahaïs — volontaires, élus et nommés — font exception afin d’administrer les préceptes de la religion dans les centres d’abord, et y tenir la beauté des jardins ensuite.
Mausolée du Baha'ullah à Saint Jean d'Acre
Aussi, bien que la communauté bahaïe soit infime en Israël, pour cause religieuse, Israël constitue une nouvelle fois le centre d’une religion à dimension mondiale et qui se veut moderne, tolérante, ouverte et adaptée au monde d’aujourd’hui. En témoignent certains de ses principes : l’abandon de toutes formes de préjugés, l’égalité complète entre les sexes, l’éducation universelle obligatoire, l’établissement d’un système fédéral mondial, le droit et la responsabilité de chaque personne à la recherche indépendante de la vérité, la reconnaissance d’une foi fondée sur la raison et l’harmonie entre la science et la religion, et entre la technologie et la nature. La pratique bahaïe peut même paraître étonnante aux disciples des religions traditionnelles. Il n’existe aucun clergé, le rapport entre Dieu et le disciple est direct, et bien qu’il existe des pratiques concernant la prière, il ne s’agit point d’obligation. Aussi le croyant bahaï peut-il prier comme il l’entend, lorsqu’il l’entend. La foi elle-même ne se transmet pas directement par les parents, mais à sa majorité religieuse, à 15 ans, l’enfant choisit sa religion. Il ou elle n’a pas non plus d’obligation d’épouser un ou une bahaï(e). Une telle liberté dans l’exercice de la foi qui a de quoi surprendre.
Le bahaïsme reste néanmoins doté d’une administration comme on l’a vu, de textes fondateurs et de grands principes. On résume parfois la foi bahaïe au concept des trois unités : unité de Dieu, unité de la religion, unité de l’humanité. Enfin les bahaïs considèrent qu’il existe deux types d’alliance entre les humains et Dieu : l’ « Alliance majeure », universelle en nature, créée et recréée par toutes les manifestations divines ; et l’ « Alliance mineure », celle passée comme un accord entre un messager particulier (Moïse, Jésus, Mahomet, Krichna, Bouddha…) et ses disciples, une alliance unique à chaque révélation et adaptée au lieu et aux pratiques sociales.
Bref une religion syncrétique telle que le bahaïsme, réunificatrice de toutes les grandes religions, ne pouvait placer son centre mondial qu’au plus grand croisement de toutes les religions : en Israël.
Quelques références bibliographiques :
- William S. Hatcher, The Baha’i faith : the emerging global religion, 1984
- Eunice Braun, A crown of Beauty : the Baha’i faith and the Holy Land, 1982
- David Hoffman, The Renewal of Civilization, USA : Talisman Edition, 1981 [1946], 143pp.
- Peter Smith, An introduction to the Baha’i faith, Cambridge ; Cambridge University Press, 2008
- Christine Hakim, Les bahaïs ou Victoire sur la violence, Paris : Diffusion Inter-Forum, 1982
- Abdu’l Baha, Laura Clifford Barney, Hippolyte Dreyfus, Les leçons de Saint Jean d’Acre, Paris : PUF, 1982
- Shogi Effendi, The world order of Baha’ullah Selected Letters, Bahaï Publish Trust, Illinois, Wilmette 60091, 1982 [1938]
Shogi Effendi est le petit-fils d’Abdu’l-Baha et arrière petit-fils du Baha’ullah, il est notamment à l’origine des traductions des textes fondateurs du bahaïsme en anglais, afin de faire connaître la religion à l’échelle mondiale. Il est aussi l’instigateur de la « croisade des 10 ans » qui vise à diffuser la religion, la portant ainsi dans presque tous les pays du monde, multipliant le nombre de fidèles de 100000 à 400 000.
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