Les articles de Misha Uzan. Ses publications, ses lectures, ses pensées. Son univers.
Article publié une première fois dans le supplément Le Lien du journal Israël Actualités, Edition du 6 novembre 2009
Publié sous une version un peu différente dans le Jerusalem Post, Edition du 23 au 29 mars 2010.
Au moment où Israël connaît une importante crise avec son plus grand allié musulman, la Turquie, nous sommes allés faire un tour de l’autre côté de l’alliance traditionnelle Israël/Turquie/Etats-Unis. Nous sommes partis en Grèce. Un pays qui pour des raisons historiques et géopolitiques, reste traditionnellement hostile à la Turquie, aux Etats-Unis et à Israël. Malgré l’intérêt que porte Israël à certains pays d’Europe centrale et de l’est, comme la République tchèque qui le lui rend plutôt bien, le temps n’est peut-être pas encore à l’heure des renversements d’alliance dans le cas de la Grèce (mais qui sait ?). L’histoire du pays pourtant, fait une grande place aux Juifs.
Alors qu’elle sort d’élections législatives anticipées où le PASOK(le parti socialiste) de George Papandréou a repris le pouvoir et alors que le pays — aux portes de l’Europe — est confronté à des vagues migratoires clandestines, notamment d’Iraq et d’Afghanistan, nous avons voulu, loin des nouveaux immigrants et des problèmes majeurs du pays, porter notre attention sur une toute petite communauté, apparemment insignifiante mais qui toutefois porte en elle toute l’histoire de la Grèce et de sa capitale Athènes depuis les temps les plus anciens : la communauté juive.
L’histoire de la présence juive en Grèce et à Athènes remonte à la haute antiquité lorsque des juifs ouvrirent des comptoirs commerciaux dans la péninsule. Ils obtinrent très tôt une place reconnue pour leur utilité dans le pays. On a d’ailleurs retrouvé au cours de fouilles tenues en 1977, les traces d’une ancienne synagogue datant du IVe-IIIe siècle avant l’ère chrétienne, à l’intérieur même du site de l’ancienne Agora d’Athènes, le centre culturel et politique de la capitale de l’Attique dans l’antiquité. Mais c’est même bien avant qu’on estime la présence d’une communauté juive, au moins au premier exil babylonien datant du sixième siècle avant l’ère chrétienne. En ce sens, là-bas comme dans d’autres pays, on peut dire que l’histoire de la communauté juive fait partie intégrante de l’histoire nationale même si les événements et les catastrophes contemporaines ont considérablement réduit les effectifs de la communauté. Aussi des 77 000 juifs vivant principalement à Thessalonique et dans les îles ioniennes avant la seconde guerre mondiale, il n’en reste aujourd’hui que 6000. Et c’est principalement à Athènes, soit dans une ville qui compte 800 000 habitants et une banlieue peuplée de trois millions d’âmes, qu’on dénombre aujourd’hui la plus grande communauté de Grèce, soit le ridicule effectif de 3000 personnes, dont à peine 200 selon les responsables communautaires, fréquentent régulièrement les institutions cultuelles et culturelles.
C’est pourquoi une ville de prés de 3000 ans d’histoire et presque autant d’histoire juive, ne comprend que deux synagogues. De taille moyenne qui plus est. On les trouve à deux pas de la Plaka, le quartier historique et touristique d’Athènes, avec pour voisin l’Agora et l’Acropole visible en haut de la colline.
Respectivement aux numéros 8 et 5 de la rue Melidoni, l’une fait face à l’autre. La plus ancienne, la synagogue ashkénaze est appelée ‘Etz Hayyim’ (l’arbre de la vie) ou Ioannina (du nom de la ville de provenance des juifs qui l’ont construit, au nord-ouest de la Grèce) ; elle fut construite en 1904. On l’appelle aussi la synagogue romaniote. Ce nom est plus généralement celui donné aux plus anciennes populations juives locales, les juifs d’origine gréco-romaine, de langue grecque (par opposition à ceux qui, dès la fin du XVe siècle y parlent le ladino) et dont l’immigration remonte aux origines de la ville. Elle n’ouvre en vérité ses portes que pour les grandes affluences des fêtes de Tichri. Seule la synagogue sépharade est ouverte toute l’année. La présence de ces juifs sépharades provient pour l’essentiel de l’expulsion d’Espagne de 1492. C’est alors que se sont fondées les grandes communautés sépharades de Grèce, dont la plus célèbre fut Salonique, aujourd’hui Thessalonique. Une ville qu’on aimait parfois nommer la Jérusalem des Balkans et qui, aux XVIe-XVIIe siècles comprenait une majorité de juifs, jusqu’à 68% en 1613. Quant à Athènes, elle fut longtemps sans synagogue. Après la première construction romaniote de 1904, la communauté sépharade d’Athènes se dote elle aussi en 1935 d’une synagogue construite selon ses rites et coutumes. Elle fut ensuite rénovée dans les années 70. D’extérieur la façade de la synagogue Beth Shalom étonne par son marbre et son style néo-classique. L’intérieur pourtant, de style plus austère, reflète une architecture orientale assez banale, courante parmi les synagogues sépharades. Mais elle s’inspire aussi de l’art grec orthodoxe dont les églises et les dômes n’ont pas grande ressemblance avec les cathédrales d’Occident. Surtout et c’est ce qui vaut l’intérêt, l’influence grecque orthodoxe se perçoit dans l’habit que revête parfois le rabbin — semblable aux prêtres grecs orthodoxes(semblables aux popes que l’on peut voir aussi dans la vieille ville de Jérusalem) —, et surtout dans l’air des prières, c’est-à-dire à la façon dont on les chante. Dans les synagogues francophones par exemple, en Israël même, certaines traditions persistent. Aussi certains chantent-ils une prière sur l’air de La Marseillaise. Le même phénomène se reproduit dans la synagogue d’Athènes. Celle-ci n’appartient nullement à un courant réformé ou libéral et pourtant on se croirait parfois dans une église ! C’est tout à fait original !
Toutefois une chose reste néanmoins et malheureusement commune. La rue est en effet réservée au centre cultuel et elle est protégée à la fois par des poteaux prévenant les voitures-béliers et par un poste de police. Les attaques ne sont pourtant pas plus nombreuses qu’ailleurs, mais compte tenu d’une forte activité d’extrême-gauche (à l’origine d’une part des émeutes l’an dernier) et d’un sentiment anti-américain très fort chez les Grecs pour des raisons historiques, sentiment qui s’accompagne trop souvent d’une hostilité envers Israël et d’un soutien à ses opposants, les autorités ont préféré prendre les devants. Aussi la communauté étant très réduite, aux nouveaux venus on a coutume de demander une pièce d’identité. Néanmoins celui qui n’a rien à se reprocher peut profiter du calme du quartier et de son histoire. On conseillera aussi au visiteur à la recherche de traces juives un petit tour au petit musée juif d’Athènes qui donne modestement quelques exemples d’une vie juive dans la région avant la guerre et au dix-neuvième siècle.
Aujourd’hui Athènes comme la Grèce sont peu convoités par le public juif. Le tourisme juif se limite aux grands sites de la Grèce antique et au tourisme balnéaire en Crète, la plus grande île du pays qui attire surtout les touristes israéliens. Et les Grecs nous le rendent bien. De siècles d’existence, il ne reste que peu : quelques traces, une toute petite communauté, le souvenir et quelques airs gréco-israéliens très populaires en Israël. Mais le pays revête une grande histoire juive, qu’il est passionnant de découvrir ou d’approfondir et qu’il serait dommage d’oublier.
Quelques repères bibliographiques :
1. Gilles Veinstein, Salonique 1850-1918, la "ville des Juifs" et le réveil des Balkans, Paris : Editions Autrement, 1993, 294pp.