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19 mai 2009 2 19 /05 /mai /2009 23:19

                                   Quand Ahmadinejad se mêle de la Shoah

 

 

ahmadinejadC’était la veille du « Jour de la Shoah » en Israël, quelques heures avant que le pays ne ferme magasins, restaurants, institutions, peu avant les commémorations annuelles de la « destruction des Juifs d’Europe »[1]. Mahmoud Ahmadinejad à Genève, fier et souriant comme à son habitude, accusait Israël d’être un « Etat raciste », fondé « sous prétexte » des crimes commis pendant la seconde guerre mondiale. Certes l’accusation n’est pas nouvelle et les pays arabes tout comme les fervents antisionistes de toute sorte l’utilisent comme argument anti-israélien depuis des années.

Mais il faut avant tout remarquer qu’Ahmadinejad, loin d’être un leader progressiste et tolérant qui ferait de lui un redoutable donneur de leçons, est à la tête d’un des pires régimes de la planète, soutien de l’Ayatollah Khamenei et avant lui de Khomeiny, oppresseur de son propre peuple et honte à la grande culture iranienne, à son histoire et à ses nombreux réformistes. L’Etat d’Israël n’a donc vraiment pas de leçon à recevoir d’un tel dictateur.

 

 

                                   Le mythe de l’Etat d’Israël né de la Shoah

 

Israël flagIl faut ensuite déconstruire le mythe, si populaire et tenace, qu’Israël serait le résultat de la Shoah, Etat-Shoah né du complexe européen d’avoir laissé mener les Juifs à l’abattoir sans lever le petit doigt. C’est de ce mythe que vient l’argument antisioniste que les Arabes de la région n’ont pas à payer pour les crimes des Européens.

Georges Bensoussan, historien spécialiste de la Shoah et du sionisme, rédacteur en chef de la Revue d’histoire de la Shoah, se fait l’un des meilleurs combattants du mythe dans son ouvrage Un nom impérissable : Israël, le sionisme et la destruction des Juifs d’Europe (1933-2007), datant de 2008[2]. Il y rappelle avec raison les textes fondateurs de l’Etat d’Israël et du mouvement sioniste, qui n’ont pas grand-chose à voir avec la seconde guerre mondiale : la Déclaration Balfour de 1917, le « mandat » officiel de la SDN en avril 1920 pour des « conditions permettant l'établissement d'un foyer national juif et le développement d'institutions d'auto-gouvernement », ou encore la commission britannique Peel en 1937 qui propose un premier projet de partition, accepté par les Juifs et refusé par les Arabes. Il fait encore la lumière sur l’immigration arabe entre 1917 et 1937, dont la population, attirée par la prospérité du pays sous l’influence du mouvement hébreu, double en 20 ans. Bensoussan n’hésite pas non plus à mentionner l’immigration massive dont aurait pu bénéficier la région si, à l’inverse, la Shoah n’avait pas eu lieu et que les 6 millions de Juifs assassinés étaient restés en vie. Bref, l’Etat d’Israël ne découle pas de la Shoah et résulte d’un processus bien antérieur.

 

 

 

                                               La place de la Shoah en Israël

 

Herzl et IsraëlToutefois il serait faux de nier que nombre sont ceux en Israël même pour qui l’Etat d’Israël est avant tout l’Etat abri, refuge, foyer, destiné à accueillir et protéger les populations juives menacées par l’antisémitisme. Contenue dans l’œuvre d’Herzl, l’idée est reprise par le mouvement herzélien et ses dirigeants[3]. Dans cette perspective la Shoah fait d’Herzl un prophète qui perçoit bien avant l’heure le danger qui menace les Juifs en Europe. Or, s’il est légitime que la Shoah prenne une place primordiale dans un Etat qui se perçoit comme l’héritier de toute l’histoire juive, il convient de le démarquer clairement de la justification de l’Etat. S’il est tout à l’honneur de l’Etat d’Israël également d’entendre servir de refuge aux Juifs menacés de par le monde, ceci ne saurait constituer le fondement de son identité. Etat du peuple d’Israël, son origine, son histoire, son patrimoine et ses valeurs dépassent l’idée de refuge et proclament des valeurs à l’origine de notre civilisation occidentale toute entière.

 

 

                                               Perceptions divergentes de la Shoah

 

Reste que la Shoah néanmoins affecte de nombreuses formes de pensée et limite la compréhension de nombreux phénomènes. Si on se doit de lui faire une place importante de par sa gravité et sa signification, il convient aussi de l’user à bon escient.

Aussi est-il intéressant de constater et d’analyser le rapport à la Shoah dans différents domaines.

Au sujet de l’Etat d’Israël, deux courants d’idée s’opposent bien souvent. Celui pour qui l’Etat d’Israël est l’Etat abri que nous décrivions plus haut, et celui selon lequel ce même Etat est surtout celui du renouveau moderne de la culture hébreue et juive, successeur des Etats de l’antiquité et de toute l’histoire juive. Il va de soi, évidemment, que ces deux formes de pensée s’entrechoquent dans le débat public comme en chacun.

Mordehai-Anielewicz.jpgDeux interprétations divergent encore par exemple sur l’organisation des cérémonies du printemps en Israël. Le « Jour de la Shoah » en effet, précède d’une semaine le « Jour du Souvenir aux combattants de Tsahal », lui-même aussitôt suivi, le lendemain, du jour de l’indépendance. Ce dernier marque, selon la date hébraïque, la proclamation de l’Etat d’Israël par Ben Gourion le 5 Iyar 5708 (14 mai 1948). Le « Jour de la Shoah », conçu en 1951 et légiféré en 1959, devait à l'origine se commémorer le 14 Nissan, correspondant à la date d’anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie menée en avril-mai 1943 par le militant sioniste Mordehaï Anielewicz[4]. Mais  le 15 Nissan est le début de la fête de Pessah, la Pâques juive, et une réjouissance, ce qui a posé un certain nombre  de difficultés et n'a donc pas réuni de majorité. Il a donc été repoussé au 27 Nissan, soit 8 jours avant le jour de l'indépendance d'Israël et 7 jours avant Yom Hazikaron, consacré à la mémoire des soldats morts au combat et des victimes du terrorisme. Aussi pour certains, ce cycle Shoah-Tsahal-Indépendance vient illustrer une instrumentalisation de la Shoah par Ben Gourion, faisant de la Shoah l’élément catalyseur de l’Etat[5]. Pour d’autres en revanche, le choix de la référence à l’Ultime révolte (dans la première intention du législateur) marque symboliquement l’esprit de défense inhérente au sionisme, l’idée du Sabra faisant refleurir le désert, les valeurs du pionnier et du soldat combattant et résistant à l’oppression, par opposition aux juifs faibles de la diaspora, quelque peu méprisés pour leur inaction et leur passivité[6].On ne peut que constater que les deux notions sont passées par l'esprit du législateur, la seconde a triomphé en terme de dates, de processus et on peut le regretter. (Notons toutefois que les cérémonies de Yom Hatzmaout, le jour d'indépendance, célèbrent l'ensemble de l'histoire d'Israël, bien avant la Shoah : implicitement les différentes perceptions sont traduites par le symbolisme des dates et des cérémonies).

 

 

 

                                                           La Shoah au quotidien

 

Gille-William-Goldnadel.jpgEnfin le rapport à la Shoah, si omniprésent dans nos sociétés occidentales modernes, a également un double effet dans l’approche de faits les plus divers. Gille William Goldnadel, dans son brillant essai sur Les Martyrocrates, publié en 2004[7], démontre comment le « big-bang » Shoah a, avec retard et à partir des années 60 et 70, provoqué en Europe de l’Ouest et en France particulièrement, la détestation de l’Etat moderne occidental, coupable d’être à l’origine du nazisme et donc d’Auschwitz. Il y dénonce l’idée « shoatique » ou le « tout Shoah » de la vie quotidienne, provoquant des situations des plus grotesques où le juif d’Auschwitz est érigé en modèle que d’autres après lui incarnent (notamment les descendants des anciens pays colonisés par l’Europe) tandis que le nouveau Juif transformé par le « séisme Tsahal » est son contraire et  assimilé à son bourreau. Par ailleurs, dans un domaine plus spécifique, je montre moi-même dans un article de 2008[8], l’idéologie « shoaïste » qui envahit la pensée intellectuelle française et occidentale, y compris en Israël, selon laquelle tout acte de répression est assimilé en une « réductio ad hitlerum »[9] à la violence nazie, aux S.S., et constitue un premier pas vers Auschwitz. Une pensée qui, cumulée à l’idée d’Israël comme Etat Shoah, protecteur des persécutés à travers le monde, entraîne via un regard idéologisé et simpliste du conflit israélo-arabe, une condamnation d’autant plus forte du petit Etat hébreu. Cette idéologie toutefois a, elle aussi, son contraire que je nomme sous le terme d’ « alter-shoaïsme »[10], désignant une tendance au repli défensif faisant de toute critique ou attaque contre Israël une forme d’antisémitisme et une nazification du critique. Une tendance qui donc, là encore, poussée à l’extrême, « shoatise » le quotidien.

 

 

En réaction au discours du président de la République islamique d’Iran à la conférence de Durban II le lundi 20 avril dernier, le président de la Knesset Reouven Rivline dans un courrier adressé à ses homologues de par le monde, faisait d’Ahmadinejad un nouvel Hitler et affirmait qu’une nouvelle Shoah est « susceptible de se produire à nouveau, amenée par des personnes comme lui »[11]. Sans nier le danger que représente la République islamique d’Iran aujourd’hui et le risque pour le monde que serait de voir cet Etat se doter de l’arme nucléaire, on perçoit ici comment la Shoah nous transcende et comment son idée même nous colle à la peau, envers et contre tout.

 

 

 


[1] Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d’Europe, Paris : Gallimard, 2006 [1988 1e édition en français]

[2] Georges Bensoussan, Un nom impérissable : Israël, le sionisme et la destruction des Juifs d’Europe (1933-2007), Paris : Editions du Seuil, 2008.

Il est aussi l’auteur d’un joli et très utile pavé d’Une histoire politique et intellectuelle du sionisme, Paris : Fayard, 2002, 1079 p.

[3] Cette idée est aussi soutenue et diffusée par le film de Claude Lanzmann, Pourquoi Israël, de 1972. Réduire Israël à la Shoah, c’est pourtant s’exposer à de sérieuses critiques.

[4] François Thual, Frédéric Encel, Géopolitique d’Israël, Editions du Seuil, octobre 2006, article « Shoah »

[5] Outre l’accusation d’instrumentalisation radicale de la Shoah par l’Etat d’Israël venant des antisionistes prêts à saisir tout prétexte pour condamner l’Etat dans son ensemble, on trouve cette critique dans des milieux divers, opposés notamment à la politique de Ben Gourion dans ses rapports avec l’Allemagne post-nazie. Voir entre autres David André Belhassen, Gérard Nissim Amzallag, La Haine maintenant ? Sionisme et palestinisme. Les 7 pièges du conflit, Paris : Editions de la Différence, avril 2006

[6] C’est aussi ce que montre Georges Bensoussan

[7] Gille William Goldnadel, Les Martyrocrates, Dérives et impostures de l’idéologie victimaire, Paris : Plon, février 2004

[8] Misha Uzan, « Israël et les intellectuels français, 1967-1982 » in Controverses, Les Palestiniens à l’épreuve de la paix, Paris : Editions de l’Eclat, n°7, février 2008. La réflexion tout comme le terme « shoaïste » est tirée avant tout de mon mémoire universitaire de fin de second cycle : Misha Uzan, Images et compréhension du conflit israélo-arabe par les intellectuels français, 1967-1982, Paris : Institut d’Etudes Politiques de Paris, juin 2007, sous la direction de Jean-François sirinelli

[9] Terme employé dès 1953 par le philosophe politique Léo Strauss dans son ouvrage célèbre Droit naturel et Histoire

[10] Misha Uzan, « Israël et les intellectuels français, 1967-1982 » in Controverses, Les Palestiniens à l’épreuve de la paix, Paris : Editions de l’Eclat, n°7, février 2008.

Article disponible sur internet à l’adresse http://mishauzan.over-blog.com/article-israel-et-les-intellectuels-fran-ais-de-1967-a-1982-50349357.html

[11] Israëlinfos.net, mercredi 22 avril

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