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7 mai 2011 6 07 /05 /mai /2011 16:42

Publié le 7 mai 2011 sur le site http://un-echo-israel.net

 

Par Misha Uzan

 

 

Yom-Hashoa.jpgYom Hashoa ve hagibora, le Jour de la Shoa et de l’héroïsme.

Yom Hazikaron, le Jour du souvenir aux soldats d’Israël tombés au combat et aux victimes du terrorisme.

Yom Ha’atzmaout, le Jour de l’indépendance.

 

Ces trois jours se suivent dans le cycle des commémorations et célébrations. On commémore tout d’abord le jour de la Shoah, une alarme résonne à 10 heures du matin et le pays se tient debout, immobile, en signe de respect et de souvenir. Les chaînes télévisées ne diffusent que des programmes en rapport avec la guerre et la Shoa et toute la journée se tiennent, à tous les niveaux, des commémorations. Puis vient, 7 jours plus tard, le jour de souvenir aux soldats d’Israël morts au combat, et depuis 2002, aux victimes du terrorisme également. C’est plus ou moins le même protocole qui se répète. Cette fois une alarme retentit dans tout le pays dès la veille au soir (conformément au calendrier hébraïque) à 20 heures et marque le début des commémorations. Une autre alarme retentit à 11 heures du matin le lendemain. Piétons et automobiles s’immobilisent et se lèvent en signe de respect. La journée est aussi marquée par des commémorations, des recueillements, des discours, etc. Puis vient la fête, le jour de l’indépendance, sans doute la fête la plus marquante dans le pays. Les bâtiments sont recouverts de drapeaux nationaux, tout comme les voitures, les motos, les autobus, les panneaux publicitaires. Des célébrations ont lieu dans tout le pays : concerts, cérémonies, représentations puis pique-niques et barbecues la journée.

 

Sur le plan pratique, ces trois événements, de recueillement d’abord, puis de joie, dans cet ordre, ont une force indéniable. On se recueille tout d’abord, on honore ses morts, puis la vie reprend le dessus, la liberté, la joie. Le cycle des trois jours est puissant sur le plan affectif et émotionnel. Pour autant c’est presque à l’envers que ces journées ont été décidées, votées, insérées dans le calendrier national, et là naissent les controverses.

 

Yom-Ha-atzmaout.jpgC’est le 14 mai 1948 que Ben Gourion proclame l’indépendance de l’Etat d’Israël. Ce fut le 5 Iyar 5708 dans le calendrier hébraïque. C’est en fonction de ce dernier qu’on célèbre l’indépendance de l’Etat (un mardi, un mercredi ou jeudi le plus proche du 5 Iyar). La date va de soi, elle répète la proclamation de l’Etat.

Les choses ne furent pas si simples en ce qui concerne le Jour en souvenir des soldats tombés au combat. L’indépendance d’Israël étant aussi le début de la guerre d’indépendance puisqu’Israël fut attaqué dès sa création. Aussi en 1949 et en 1950 les morts de la guerre furent commémorés en même temps que l’indépendance. Puis en pratique les disparus furent rappelés en souvenir le jour suivant jusqu’à ce qu’une loi de 1963 instaure et ratifie l’idée de la commémoration avant la célébration. Ben Gourion était encore au pouvoir, et cela en dit long. Car c’est aussi sous Ben Gourion que fut décidée l’instauration d’un Jour de la Shoah, en 1951, avant d’être votée en 1959 par la Knesset. L’idée n’est évidemment pas mauvaise, et c’est au contraire au niveau mondial qu’on devrait se commémorer les victimes des génocides, mais c’est la date qui est controversée. La première choisie fut le 14 Nissan, le premier jour de la révolte du ghetto de Varsovie, conduite notamment par le militant sioniste Mordehaï Anielewicz. De cette façon Itzhak Ben Zvi alors président de l’Etat d’Israël et David Ben Gourion, premier ministre, voulaient célébrer l’héroïsme (le mot est resté dans l’intitulé du jour) de ceux qui ont osé, seuls, sans véritables moyens militaires, défier la machine de destruction nazie. Cette conception renvoyait à l’idée, très forte à l’époque, dans l’imaginaire sioniste, qu’il fallait se défendre jusqu’au bout. Repoussant l’image du juif mené à l’abattoir sans mot dire, le Juif nouveau, sioniste, Israélien, exaltait l’idée de l’auto-défense. (Pour plus de détails voir mon article Shoah, Shoah, Shoah.)  Mais le 15 Nissan, c’est-à-dire le lendemain, correspond au début de la fête de Pessah, la Pâque juive, qui célèbre la sortie d’Egypte des Hébreux. C’est une période de réjouissance importante. Par conséquent la date ne fit donc pas l’unanimité et fut repoussée au 27 Nissan, soit 8 jours avant Yom Ha’atzmaout, le jour de l’indépendance. Aussi l’idée du cycle Yom Yom-Hazikaron.jpgHashoa – Yom Hazikaron – Yom Ha’atzmaout s’imposa-t-elle au cours des années 50. Ceci étant, laissant de côté l’opposition de l’orthodoxie religieuse haredie pour qui le mois de Nissan tout entier doit être réservé à la réjouissance (préférant à cette date le 9 av — le jour de la destruction des deux temples de Jérusalem — ou le 10 Tevet — jour du début du siège de Jérusalem par Nabuchodonosor) ou pour qui il n’est pas coutume dans la tradition juive de se tenir debout pour un recueillement mais au contraire de se replier sur soi ; le cycle des trois jours pose néanmoins un problème symbolique important[1]. Car il laisse planer l’idée que la Shoa est l’élément catalyseur de l’Etat d’Israël, sa cause, son fondement. Tout se passe comme si il y avait d’abord eu la Shoa, puis le combat sioniste et notamment les guerres qui ont été menées, et enfin l’indépendance. Or bien que cette idée soit fortement ancrée dans la tête de nombreux Israéliens et Juifs, et bien que le poids de la Shoa a évidemment pu avoir une influence sur le vote des nations aux Nations-Unies lors du vote du partage de 1947, l’idée d’Israël et de l’Etat d’Israël ne peut être réduite à la Shoa. C’est là l’arme de l’antisionisme primaire et une réduction intellectuelle criante. La commission Peel de 1937, la déclaration Balfour de 1917, les premières montées du sionisme politique moderne depuis 1881, le proto-sionisme, les tentatives du moyen-âge et de la renaissance et en somme toute l’histoire d’Israël (qu’il s’agisse d’une nation, d’une religion, d’une culture ou d’un destin) démontrent le contraire. Par ailleurs dans son livre Un nom impérissable : Israël, le sionisme et la destruction des Juifs d’Europe (1933-2007), Paris : Editions du Seuil, sorti en 2008, l’historien Georges Bensoussan, rédacteur en chef de la revue d’histoire de la shoa, n’hésite pas non plus à évoquer la perte qu’a constituée la Shoa pour l’Etat d’Israël, ne serait-ce qu’en termes de populations[2].

 

Que l’Etat d’Israël, et Ben Gourion en premier lieu, par la datation de ses commémorations et célébrations, renforce les arguments de ses détracteurs, (bien que Yom Ha’atzmaout celèbre l’histoire d’Israël depuis Jacob et les douze tribus) voilà qui cause un réel souci. Difficile pour autant de renverser une tradition symbolique instaurée depuis les années 50, à cause de questions intellectuelles de cet ordre, si théorique. Et pourtant. Une fois de plus, on peut le souligner avec humour, Israël tend la patte pour se faire battre.

 



[1] Voir pour plus de détails mon article Shoah, Shoah, Shoah ainsi que l’ouvrage de David André Belhassen et Gérard Nissim Amzallag, La Haine maintenant ? Sionisme et palestinisme. Les 7 pièges du conflit, Paris : Editions de la Différence, avril 2006

[2] Georges Bensoussan, Un nom impérissable : Israël, le sionisme et la destruction des Juifs d’Europe (1933-2007), Paris : Editions du Seuil, 2008.

Il est aussi l’auteur d’un joli et très utile pavé d’Une histoire politique et intellectuelle du sionisme, Paris : Fayard, 2002, 1079 p.

 

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