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22 mars 2011 2 22 /03 /mars /2011 12:22

Par Misha Uzan

 

Nathan Sharansky, Défense de la démocratie. Comment vaincre l’injustice et la terreur par la force de liberté, Paris : Bourin, 2006

 

Nathan-Sharanski.-Defense-de-la-democratie.jpeg

 

Pour fêter les 20 ans de libération de Nathan Sharanski (Il y a 25 ans : Nathan Sharansky libéré) j’ai repris son plaidoyer pour la démocratie. C’est un livre tout à fait intéressant, particulièrement en ce moment. Alors que des régimes autoritaires tombent au sud de la méditerranée, il n’est pas inutile de lire ce qu’écrivait en 2006 un ancien dissident soviétique qui prône la démocratie comme modèle et surtout la démocratie comme garantie pour la paix et la politique internationale.

Il faut dire que je partage pleinement sa défense de la démocratie non pas seulement sur le plan national mais aussi sur le plan international. Le moment est particulièrement bien choisi pour tenir ce propos, Sharanski l’a écrit en 2006, il le défend depuis une vingtaine d’années. On voit aujourd’hui des bien-pensants de tous bords se précipiter pour dénoncer les régimes de dictatures, voire presser leur chute. On les voit aussi souvent reconnaître qu’ils ont dans le passé péché par mesure de précaution. Tous l’ont fait et tous ont suivi le même type de politique : miser sur la stabilité et avec, l’argent. Mais tous ne dénoncent aujourd’hui cette politique que dans les pays où des régimes sont tombés ou vont peut-être le faire (en Tunisie, en Egypte, en Lybie). D’une part ces Etats sont-ils les seuls à ne pas respecter la démocratie et les droits de l’homme ? D’autre part, force est de constater que personne aujourd’hui n’entend conditionner sa politique de coopération avec un autre Etat en fonction de son rapport à la démocratie et aux droits de l’homme. On peut maintenant se permettre de le faire en Tunisie et en Egypte, même si on ne sait pas encore ce que les mouvements qui y ont eu lieu vont donner, et en Lybie, même si on ne sait pas encore si le régime de Khadafi tombera. Mais je n’ai pas entendu que la France, les Etats-Unis, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie ou d’autres remettent en cause leur rapport avec le Qatar ou Dubaï à cause de l’esclavage moderne, avec la Syrie ou l’Algérie, et encore moins avec la Chine. On proteste un peu parfois, mais on ne fait pas grand-chose. On ne prend toujours aucun risque, on n’intervient pas, on ne se mêle pas. Telle est la ligne politique menée en politique internationale depuis l’après-guerre.

Nathan-Sharanski.jpegC’est ce à quoi Sharansky s’oppose. Il prône une politique de promotion de la démocratie dans la politique internationale, non pas seulement à travers des discours, mais par de véritables pressions politiques, en conditionnant l’aide à un pays, l’achat de pétrole ou les relations bilatérales aux réformes démocratiques entreprises par le pays en question. C’est une ligne qui me paraît tout à fait noble, bien plus que les politiques menées depuis 60 ans, et fidèles à nos principes démocratiques et aux droits de l’homme. On ne peut pas faire comme si les dictatures n’existaient pas. On traite entre démocraties, pas avec les terroristes, et pas non plus avec les dictatures, ou seulement celles en processus démocratique.

C’est la base de l’ouvrage, développée tout du long. Quelques questionnements et interrogations persistent néanmoins.

 

 

 

1)      On aimerait que Sharansky élabore une véritable théorie de promotion de la démocratie. Un plan, un modèle, une théorie philosophique comme en ont fait Kant, Habermas, ou Will Kymlicka.

 

2)      Sharansky s’inspire énormément de l’exemple soviétique et montre la logique de la dissidence. Il démontre parfaitement comment un régime totalitaire ne tient pas à la longue, il explique pourquoi les dissidents augmentent même si, selon la force du régime, ils osent plus ou moins se montrer. Sous Staline par exemple, le fait de massacrer systématiquement toute dissidence même pensée dans son sommeil empêchait quiconque de se montrer. Sharanski est convaincant sur la volonté contestataire et dissidente de l’être humain et donc de tout Etat. Mais les exemples qu’il prend en début de livre ne sont pas toujours aussi convaincants que son discours, pas encore du moins. Il évoque le cas de pays pensés à l’origine totalement hostiles à la démocratie (le Japon, l’Allemagne par exemple) et qui le sont devenus. Mais tous les exemples pris pourraient être étudiés à la loupe. Le Japon et l’Allemagne ont connu des guerres mondiales qui les ont entièrement détruits. Ce sont des chocs déterminants qui peuvent expliquer le retournement de régime. Il a fallu des millions de morts pour en arriver là. Avant cela les Allemands n’avaient-ils pas trouvé une raison d’être au nazisme ? Le Japon inclut aujourd’hui le pacifisme dans sa constitution, la mémoire de la seconde guerre mondiale en est la raison. L’Europe de l’est est devenue démocratique. Sharanski parle à juste titre de la tradition démocratique de pays comme la République Tchèque et la Slovaquie. Mais que peut-on dire aujourd’hui de la Russie ? Est-ce concluant ? Le temps fera-t-il l’affaire ? On peut en discuter.

 

3)      Sharansky avance que ne pas préférer la démocratie c’est un peu comme préférer l’esclavage à la liberté. Il a raison pour quiconque aime la liberté et la démocratie moderne. Mais ces arguments appellent plusieurs questions. N’y a-t-il pas une différence entre les régimes totalitaires, qui ne peuvent pas tenir, et les régimes autoritaires ou simplement ultra-traditionnels ? La tradition n’aspire-t-elle pas parfois et en certains endroits du monde plus de respect qu’une démocratie moderne qui entraînerait aussi, et c’est un point qu’il n’aborde pas, débauche, abaissement des traditions, contestation de la morale voire immoralisme. Pour nous démocrates la démocratie est le moins pire des régimes, d’autres ne préfèrent-ils pas leur tradition ?

 

4)      Sharansky cite son ami scientifique Sakharov qui a déclaré sous le régime communiste, que la forme de son régime ne permettrait pas à l’Union soviétique de tenir le niveau scientifique du monde libre. Ce fait n’était-il pas dû à la nature du régime communiste ? On peut se poser la question en voyant le développement magistral de la Chine, voire le programme nucléaire de l’Iran.

 

5)      De même. En lisant le livre de Sharanski on se demande bien si la question démocratique est une fin en soi. Le cas des mouvements en Tunisie et en Egypte sont parlants. Si ces pays deviennent démocratiques, qu’en sera-t-il néanmoins des minorités ethniques et religieuses qu’on a décimées d’abord puis dont on a effacé la mémoire dans le pays. L’effondrement de cultures et civilisations peut s’accommoder du fait démocratique, de même le peuvent et l’ont pu le colonialisme, l’impérialisme, le racisme ; sauf à ne plus parler de démocratie dans ces cas, et où situer la frontière ? L’ouvrage de Sharanski permet de réfléchir : la démocratie est-elle une solution suffisante contre l’impérialisme, le colonialisme, le racisme ?

 

6)      Sharansky, on l’a dit, ne donne malheureusement pas assez de détails sur la façon de mener à bien la politique internationale de démocratie, car il se concentre tout d’abord sur l’argumentation. Il faudrait un tome 2 de son livre. Ceci étant, bien que sans être en accord avec la droite ou la gauche, il souligne l’importance pour lui de la guerre des étoiles menée par Reagan et des initiatives pour la démocratie prises par Bush fils, y compris les guerres en Afghanistan et en Irak. Que dit-il donc précisément sur la guerre pour la démocratie, ou le devoir d’ingérence ? Il n’est pas assez précis sur ces sujets dans ce livre.

 

 

 

On ne peut que percevoir les grandes lignes de Sharanski dans ce livre. Des grandes lignes, je pense, plutôt convaincantes. Il faudrait à mon sens, poursuivre et développer dans cette direction. Le problème, c’est que les a priori, les préjugés et les traditions politiques, diplomatiques et même intellectuelles du monde libre, s’y opposent et ne sont pas prêtes à accueillir ces propos. Mais … sait-on jamais. La chute des dictateurs arabes a ouvert une réhabilitation du Bushisme. D’autres questions se posent encore.

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