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11 juin 2008 3 11 /06 /juin /2008 19:06

Publié dans le journal Le Lien, n°288, 10 juin 2008

 

 


Denis CharbitCélébrations, réceptions, commémorations et réunions, on ne compte plus le nombre d’événements organisés pour le 60e anniversaire de l'Etat d'Israël, à l’étranger comme en Israël même. A cette occasion l'université de Tel Aviv organisait deux colloques abordant les relations entre Israël et la France. Le second, tenu le 20 mai, se consacrait au monde diplomatique et à la politique suivie par les différents présidents français vis a vis d'Israël ; le premier, tenu les 18 et 19 mai, organisé par Denis Charbit de l'open university et Nadine Kuperty Tsour du département de français de l’université de Tel Aviv, s'attachait lui, au regard des intellectuels français sur Israël, s'intitulant « Les intellectuels français et Israël : entre admiration et réprobation ». Un sujet particulièrement intéressant auquel nous consacrons nous-mêmes nos recherches*.

 

  Un certain nombre de spécialistes étaient bien sûr présents : Denis Charbit bien entendu, auteur entre autre d'un article sur le célèbre numéro des Temps Modernes de juin 1967, publié dans La règle du jeu, la revue de Bernard Henry-Levi[1] ; Jean-Francois Sirinelli, spécialiste de l'histoire politique et culturelle en France ainsi que de l'histoire des intellectuels français, sujets auxquels il a consacré de nombreux ouvrages ; Pierre Birnbaum, spécialiste de l'histoire politique des Juifs en France, François Laffon chercheur au CNRS, Antoine Compagnon professeur au Collège de France, Alain Finkielkraut ou encore Eric Marty, professeur de littérature à ParisVII.
S'attachant aux prises de positions publiques d'intellectuels, ce colloque ne put évidemment éviter totalement certaines polémiques, même si beaucoup d'interventions restèrent limitées au strict cadre scientifique.

 

L’intellectuel sioniste de gauche et La Paixmaintenant


Elie BarnaviL'allocution, par exemple, d'Ilan Greilsammer, professeur de science politique à l'université Bar Ilan de Ramat Gan, assez originale, fut une de celles qui fit débat. Tournant quelque peu en dérision son propre camp, celui des intellectuels sionistes de gauche, mal à l'aise depuis 1967 et les années 70, et ironisant sur le mouvement de La Paixmaintenant, dont il se sent pourtant lui-même proche, il provoquait ainsi les remarques et l’irritation de quelques-uns ; parmi lesquels Elie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël en France et professeur émérite à l'université de Tel Aviv.

 

 De l’hostilité à Israël à l’idéologie du culte du métissage


Francois Laffon quant à lui, chercheur au CNRS ,délégué à Jérusalem, dans son allocution sur l'opposition entre Jean Marie Domenach, ancien directeur de la revue Esprit, et Marc Jarblum, ancien délégué pour Israël en France, pointait du doigt l’esprit néo-munichois d’un Domenach faisant d’Israël l’agresseur en 1967. Il montrait par ailleurs, en reprenant la controverse publiée dans Esprit en janvier 1967(et reprise en janvier de l'année suivante), au sujet de l’affaire du Frère Daniel[2], interdit d’aliya au motif de conversion au christianisme, comment Domenach, avant même la guerre des Six Jours, n'avait pas caché sa franche hostilité au principe du  fondement d'un Etat juif en tant que tel, et n’avait

pas ménagé ses reproches envers Israël. A cette brillante allocution, il n’aurait plus manqué que d’ajouter les propos du même Domenach en 1976, véritablement extasié devant "l'orientalisation" du pays et la présence de nombreux sépharades, les seuls selon lui, qui par leurs "odeurs, rumeurs, gesticulations […] (ces propos sont de Domenach) donnent le ton, gai, bruyant, blagueur, sans débraillé pourtant". Un « aspect méditerranéen, arabe, [qui croyait-il] aidera [Israël] à se réconcilier avec l’entourage. » Outre le fait qu’il assimilait les sépharades, l’Orient et le bassin méditerranéen aux Arabes, gommant ainsi les différences et particularités d’autres peuples de la région, Domenach, s’abstenant de prôner un vivre ensemble, basé sur les idées et un ensemble de valeurs, célébrait au contraire ce qui lui semblait être une proximité de race et de tradition. Des propos annonciateurs de la vague de culte du métissage, qui n'a eu cesse de grandir depuis, et par lesquels le directeur d'Esprit ethnicisait le conflit en glissant vers un antiracisme…. raciste.

 

Ouverture au discours arabe


Dans un autre registre, Raphael Lelouche, sociologue à l'université de Tel Aviv et Président de l'association internationale de sociologie, entreprit un discours engagé dans la critique de l'hostilité générale envers Israël, régnant en France au sein de certains milieux, dont l'intelligentsia. Pensant faire preuve d'audace en tenant ce discours, il lui fut rétorqué par Denis Charbit qu’en réalité l'ensemble de l'assistance, majoritairement composée de Juifs philosionistes et pro-israéliens, adhérait largement à ses propos ; et qu’une preuve de courage eût été, selon ce dernier, de tenir au contraire devant cette même assistance, des propos très pro-arabes. Denis Charbit en profitait aussi pour inviter ses collègues à essayer, voire à radicalement comprendre, cet Autre arabe (un peu à la manière de Sartre, précisait-il). Denis Charbit, on l'aura compris, voulut faire montre d'ouverture et d'écoute, et on ne pourra pas le lui reprocher. Mais on sait aussi, et ce fut la réaction de la salle, sans qu’il le nie, qu'on ne manque  pas d’aptitude à l’autocritique, dans le milieu des intellectuels juifs ou israéliens dont nombre furent les chantres, et parfois même les fondateurs, les créateurs, de la cause arabiste palestiniste.

 

Mais fermeture à la Droite


On sait moins en revanche, qu'une catégorie conceptuelle toute entière, a clairement, et parfois délibérément, été écartée du débat intellectuel français sur le conflit israélo-arabe. Cet Autre, exclu, n'est pas le réfugié arabe, ou le discours arabe, mais ce que l’on nomme, parfois avec mépris ... la Droite.


Elisabeth-Levy.jpgEn fin de colloque, Elysabeth Levy, journaliste bien connue de France Télévisions, de Marianne, du Point, et tout récemment du site www.causeur.fr, s'interrogeait dans sa conclusion : la stigmatisation systématique d’Israël par la gauche française et la plupart des intellectuels français depuis plusieurs années pose une difficulté, celle de rejeter les soutiens d'Israël, sionistes et philosionistes dans le camp de la droite. Un véritable défi lancé à tous les sionistes de gauche, pleins de la culture de gauche d'après-guerre pour lesquels la Droite n’est rien d’autre que l'ennemi redouté. Oui mais voila la droite n'est plus celle de Barrès et Maurras et il était déjà bien réducteur et obtus dans les années 70 d'y réduire toute les droites, en France comme ailleurs ! C'est pourtant bien ce que faisait Sartre, encore lui, qui s’adressait « à la gauche, c’est-à-dire à vous, à moi »[3], donc pas à la droite car « il faudra que la Gauche (avec un grand G), en Occident, […] soit au courant des questions fondamentales pour pouvoir […] servir aux deux adversaires » ; c’est ce que faisait aussi Olivier Revault d’Allones pour qui « c’est uniquement grâce à sa gauche que le peuple israélien peut balayer ses généraux, ses milliardaires, ses rabbins ainsi que leurs alliés sociaux-démocrates »[4]. Quant à Albert Memmi, fervent sioniste pourtant, il n’hésitait pas à dire et écrire en 1972, que « si le sionisme n’est pas socialiste, alors il perd de son sens, car le sionisme n’est pas seulement la construction d’une nation, il a voulu la normalisation sociale, économique et culturelle du peuple juif »[5] ; propos tenus cinq ans avant l'élection de Begin, un homme dont la vision politique n’avait pourtant rien à envier à Albert Memmi en matière de sionisme. Trop enfermés dans leur idéologie, faite de croyance aveugle envers la gauche, le socialisme, la fin de l’histoire, confinant au gauchisme, ces intellectuels ont bel et bien rejeté d’un revers de main d’autres conceptions que les leurs. En se coupant à des hommes et à des idées parce que supposés de droite ou venus de droite, ceux qui se sont autoproclamés ‘le camp de la paix’, se sont aussi fermés à d'autres analyses et d'autres possibilités que les leurs, glissant souvent et paradoxalement dans leurs discours même, vers le sectarisme et la fermeture intellectuelle. Jabotinsky n'était pour beaucoup d’entre eux qu'un fasciste, Begin un intégriste et la droite toute entière expansionniste et colonialiste. Or le débat intellectuel aurait aussi dû s'ouvrir à la relativisation de ces termes, à leur extension à d'autres parties ou simplement aux idées nouvelles. Faute de quoi le débat ne s'est fait qu'entre la gauche sioniste et les non-sionistes, y compris — cette fois avec une pleine et étrange ‘ouverture’ intellectuelle — avec les mouvements arabes les plus extrémistes dont les idées violentes, destructrices et elles bel et bien intégristes, ont été relayées par l'extrême gauche française et israélienne. La solution imposée aujourd'hui par l'establishment mondial, celle de "deux Etats pour deux peuples", véritable invention de la gauche israélienne et européenne, ainsi que l'utilisation d'un certain nombre de termes[6] parmi lesquels celui de 'Palestiniens' pour ne designer que les Arabes — ainsi que le prescrit la charte de l'OLP — sont le résultat de 30 ans d'un débat, intéressant certes, mais limité, restreint, partial, et formaté .

Le rôle de l'intellectuel n’est-il pas de conjurer le sectarisme et d’aider à l’approfondissement des échanges, fusse en s’ouvrant à d’autres discours, et d’éviter le plus possible le cloisonnement des pensées ? Quelques-uns s’y essayent, mais ils restent malheureusement beaucoup trop marginaux.

 

 

 

 

* Misha Uzan est l’auteur d’un mémoire de Master intitulé « Images d’Israël et compréhension du conflit israélo-arabe par les intellectuels français, 1967-1982 », il a aussi récemment publié un article sur « Israël et les intellectuels français, 1967-1982 » dans la revue Controverses, de Shmuel Trigano. Il prépare actuellement une thèse de doctorat qui prolonge ses recherches autour de ce sujet.

 

 

 

 


[1] Denis Charbit, « Un numéro des Temps Modernes revisité », in La règle du jeu, « 40 ans après », dossier coordonné par  Salomon Malka, n°34, mai 2007, 17e année

[2] Affaire qui fut à l’origine de la modification de la Loi du retour ne reconnaissant plus comme Juif celui converti à une

  autre religion , le texte originel ne le prévoyant pas.

[3] Jean-Paul Sartre, « Pour la vérité », in Les Temps Modernes, n°253 bis, juin 1967

[4] Olivier Revault d’Allones, « Le nouveau danger qui menace Israël », in Combat, Vendredi 6 octobre 1967

[5] Albert Memmi, « Justice et nation » publié sous le titre « Unités et différences », communication au Congrès sioniste de Jérusalem en 1972, publié sous le même titre in Cahiers Bernard Lazare, n°36, juillet-août 1972

[6] Voir à ce titre mon étude des transferts sémantiques opérés entre les années 50 et 70, dans mes recherches citées ci-dessus.

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